Coheris et Harry : coup de grisou entre Boulogne et Courbevoie


Rédigé par le 11 Juin 2008



Fabrice ROUX (à gauche) / Paul LANDUCCI (à droite)
En novembre 2004, Paul Landucci, PDG fondateur de Harry Software (ex-Adviseurs) éditeur de solutions décisionnelles, vend sa société à Coheris (alors dirigé par Jean-Pierre Créput), éditeur de CRM. Classiquement, cette opération est réalisée dans le temps. Paul Landucci s’engage à rester plusieurs années à son poste (sans doute trois ans), le paiement de la vente de Harry Software est ainsi étalé sur cette même période ; et il rejoint la société Coheris au poste de directeur général délégué en charge de la stratégie et du développement. Depuis Harry Software est devenu Coheris Harry, Coheris a racheté Spad, et Jean-Pierre Créput a été remplacé par Fabrice Roux…

Trois ans après cette entente cordiale, le torchon brule entre Fabrice Roux, actuel PDG de Coheris et Paul Landucci, qui vient d’être débarqué de son poste de PDG de Coheris Harry.

Rappelons tout d’abord que la situation financière de Coheris est actuellement un peu compliquée : flottant important en bourse (on parle de 60% du capital), un actionnaire indien, Jindal, qui détiendrait 13 % environ du capital, assez absent des décisions stratégiques et opérationnelles, un cours de bourse très bas qui valorise l’entreprise à 18 millions d’euros seulement et la rend facilement attaquable, des résultats 2007 corrects avec +29 % annoncés sur les ventes de licences mais un premier trimestre en correction avec -8 % sur le chiffre d’affaires comparés au même trimestre de l’exercice précédent...

Cette dégradation de la situation financière, ainsi que des différences de vues sur la stratégie de l’entreprise Coheris auraient amené Paul Landucci à bâtir avec le soutien de plusieurs autres actionnaires, un plan alternatif. Fondamentalement c’est sur la différence entre une stratégie d’éditeur de logiciels ou de prestataire de services que s’opposent les deux hommes. Pour Paul Landucci, Coheris est de nouveau reparti dans une stratégie de SSII, privilégiant la vente de services à court terme aux clients et le “body shopping”, plutôt que l’investissement à long terme dans le développement des produits. Il en veut pour preuve le départ de plusieurs personnes au profil “éditeur” et l’arrivée de profils “services” dans le management de Coheris, dont Marc Stanciu qui dirige cette activité. De son côté Fabrice Roux conteste fermement cette vision des choses. Selon lui, “il n’est pas du tout question d’une évolution vers le métier du service, au contraire, mais de remonter la rentabilité de cette activité afin de la rendre rentable”, et de pouvoir par la suite la céder par exemple à une autre SSII. Il confirme donc l’objectif stratégique de Coheris de se consacrer à terme à son métier d’éditeur de logiciels.

L’affaire a semble-t-il éclaté le 23 mai dernier, lorsque Paul Landucci se serait ouvert de son projet alternatif auprès de Fabrice Roux. Ce dernier a alors demandé à l’assemblée générale de Coheris Harry la révocation de Paul Landucci de son poste de PDG et d’administrateur, expliquant que ce dernier avait “trompé la confiance du conseil d’administration”. Cette révocation a été votée le 26 mai.
Mais tout cela n’est que “cuisine interne” en quelque sorte... Jusqu’à ce que quelques jours plus tard, le forum annuel du club des utilisateurs Harry se réunisse et apprenne par la même occasion les raisons de la révocation de “leur PDG”. Harry est en effet une société très paternaliste, qui doit beaucoup au caractère de Paul Landucci qui parait indispensable à l’esprit de l’entreprise, mais également de manière plus pragmatique à certains projets clients opérationnels. A la demande des clients, l’ancien et le nouveau PDG de Coheris Harry, Fabrice Roux, étaient présents à ce forum et se sont expliqués face aux clients. A l’issue de ce forum, le Président du club, Patrick Brillet de Hachette-Livres, a fait part officiellement de l’inquiétude de ses membres sur la pérennité de l’offre logicielle Harry et de l’instabilité des équipes. Ils craignent des “départs en masse de la société, ce qui nuirait gravement à la continuité du service aux clients et à l’exploitation des progiciels Harry”. “Certains se posent déjà la question de continuer à investir dans des développements avec la suite Coheris Harry”. Pour Fabrice Roux, le processus de recrutement du nouveau PDG de Coheris Harry serait déjà engagé et un cabinet missionné en ce sens. Plusieurs candidats auraient déjà été approchés. Il reproche à la direction précédente d’avoir conservé la main mise sur certains projets en particulier auprès de grandes banques comme la BNP ou la Société Générale. Certains clients seraient de leur côté inquiets du fait que des technologies pointues comme le vectoriel ne soient maîtrisées que par quelques personnes chez Harry. Il reproche également au management de n’avoir pas su ou voulu développer plus la société, en particulier son réseau commercial soit par la formation de partenaires revendeurs, soit par l’embauche de commerciaux.

Les salariés de Coheris Harry et de l’entité issue du rachat de Spad seraient ensuite à leur tour montés au créneau, demandant la réintégration de “leur” PDG, à une écrasante majorité. Ils précisent que “le management de Paul [Landucci] est unanimement apprécié par tous les collaborateurs... son départ précipité met en péril la stabilité de l’activité BI du groupe Coheris et la pérennité de Coheris Harry”.

La prochaine étape juridique, qui devrait se révéler houleuse, est l’assemblée générale de Coheris, qui doit avoir lieu le 25 juin prochain. La révocation des principaux administrateurs ayant été demandée par les uns et les autres; le projet de reprise de l’entreprise par quelques salariés ayant été annoncé aujourd’hui même, il ne fait aucun doute que les débats seront animés. La situation qui en ressortira sera-t-elle bénéfique aux clients ? L’avenir le dira.



Dans la même rubrique :