Interview de Jean-Paul Isson, Global Vice President Predictive Analytics & BI chez Monster


Rédigé par le 26 Avril 2016

A l'occasion de la sortie de son deuxième livre, dédié à l'analyse des données dans le domaine des ressources humaines, Jean-Paul Isson a répondu aux questions de Decideo.



Jean-Paul ISSON
Le domaine des ressources humaines semble être un de ceux qui résiste le plus à la vague du Big Data. Elle a semblé toucher d’abord le marketing, les ventes, la finance… Pourquoi le domaine RH s’y intéresse-t-il maintenant ?
La compétition pour acquérir et retenir les meilleurs talents est de plus en plus globale et féroce. L’instinct et la conviction ne sont plus suffisants pour comprendre ce qui motiverait un talent à s’intéresser à une entreprise, ce qui le/la motive ce qui drive la performance et la loyauté des employées. Aujourd’hui la disponibilité des outils plus intégrés propulsés par des algorithmes de stockage et d’analyse des données a changé graduellement la mentalité des futurs RH.
Les RH, tout comme le marketing, vont connaitre un changement radical dans la façon dont elles gèrent les ressources. Aujourd’hui on a plus de données disponibles sur les employés qu’avant. Les données du HRIS mais surtout les « open data » très riches comme celles des médias et réseaux sociaux (Twitter, LinkedIn, Facebook et d’autres). Le monde du travail a changé ; Le monde a évolué dans un marché où la main d’œuvre est moins sédentaire et moins loyale ; et ou la composition du personnel est à majorité milléniale. Les CFO veulent avoir des réponses par rapport à l’investissement fait sur les ressources, l’acquisition des talents, et la performance de ces ressources. Les ressources humaines représentant 60 à 70 % des premières dépenses de toute organisation, cela nécessite la même rigueur que celle utilisée dans l’ingénierie et la gestion du client.
 
Dans Ressources Humaines, il y a « humain ». N’est-ce pas justement ce qu’on reproche au big data, de manquer d’humanité ? Les RH vont-elles devenir « inhumaines » si on les transforment en Big Data et si ce sont des algorithmes qui décident des embauches, des promotions, des licenciements… ?
Non il doit toujours y avoir un humain derrière.
Selon moi, le Big Data Analytics doit toujours rester un support pour les RH pour la prise de meilleures décisions. Le Big Data leur permet de combiner l’art (l’intuition, l’expérience des RH) avec la science (les algorithmes Big Data et l’intelligence des données). La décision finale d’embaucher ou de retenir un talent, doit toujours être prise par l’être humain, à la lumière des recommandations du « data analytics ». Il y aura toujours besoin d’un être humain pour vérifier et interpréter les corrélations issues des données.

People Analytics in the Era of Big Data - Jean-Paul Isson
Avez-vous constaté une différence d’approche entre le Big Data appliqué aux RH en Amérique du Nord et en Europe, particulièrement en France où l’on est beaucoup plus sensible aux données personnelles ?
Oui absolument il y a une différence. Ça me fait penser au cycle d’adoption du Big Data. Le décalage qu’il y a eu entre l’Amérique du nord et l’Europe, et surtout la France. En France il y a eu quelques années où on a observé, pour voir ce que l’on pouvait en tirer ailleurs avant de s’embarquer. Il faut aussi noter que la mobilité des ressources aux US est très forte. Il est facile d’embaucher et de laisser partir les ressources aux États-Unis. Alors que les procédures sont plus longues pour l’embauche et le licenciement des employés en France. Les français sont plus sceptiques par rapport à la technologie pour gérer les ressources humaines, qui pourrait être perçue comme une intrusion dans leur vie privée ; mais avec le temps cela va évoluer, et le catch up sera fait. Une étude récente (2016) de Deloitte démontre d’ailleurs que seulement 60 % des français pensent que le People Analytics est important pour leur entreprise. Chiffre assez bas comparé aux 79 % des américains qui déclarent que le People Analytics est très important pour leur entreprise. Alors qu’en Grande-Bretagne c’est 78 %, aux Pays-Bas 83 % et en Allemagne 70 %.
 
On parle beaucoup dans certains métiers du remplacement des emplois par des « robots » qui peuvent être logiciels, comme les robots conseillers dans les banques, ou des machines intelligentes et apprenantes. Si les ressources de l’entreprise sont de moins en moins humaines, va-t-on voir apparaitre des services « RR », de Ressources Robotiques, qui seront chargés de recruter, gérer et améliorer les algorithmes et robots ? Les RH vont-ils devenir RR ou la direction informatique va-t-elle reprendre le contrôle de ces nouveaux employés ?
Oui absolument, les algorithmes vont jouer un rôle fondamental dans la prise de décisions, la sélection et l’embauche des candidats, mais il subsistera toujours des risques au niveau des droits de la personne, pour la sélection des candidats. Même aux US on ne peut pas formellement embaucher ou licencier un employé, sur la simple base d’un algorithme. Il y a une ligne fine entre le support à la décision et la décision finale. Selon les politiques et les règles de droit du travail en place, il y aura des évolutions. Oui la robotisation ou plutôt la croissance des algorithmes de Machine Learning et Deep Learning dans les RH sera de plus en plus présente. Mais seront tempérées par les réalités et limites des droits des citoyens. Peut-on laisser tout le processus de sélection et de rétention des candidats dans les mains d’un robot ? Je ne pense pas dans un avenir proche. Ils vont certainement jouer un rôle prépondérant dans la sélection et la rétention des talents mais je les vois beaucoup plus œuvrer au service des recruteurs sous forme de « job agent » qui vont sillonner de façon intelligente le web, récupérer toute notre activité en ligne, avec nos choix et préférences pour trouver des croisements d’opportunités. Le « job agent » fera tout pour nous ; il y aura des applications qui vont nous permettre de sillonner le web et de nous informer sur ce qui serait plus intéressant pour nous. Certaines fonctions RH préliminaires de présélection des employés par exemple, ou d’optimisation de la valeur des employés, et de leur cheminement de carrière, se feront au travers d’algorithmes mathématiques.



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