Interview exclusive : Stratégie des nouveaux dirigeants de Coheris Harry


Rédigé par Propos recueillis par Philippe Nieuwbourg le 6 Aout 2008

Tout juste un mois après leur prise de fonction, un peu précipitée par les événements, à la tête de Coheris Harry (ex-Harry Software) en remplacement de Paul Landucci, nous avons pu rencontrer les nouveaux dirigeants de l’éditeur, Pierre Ausset, directeur général de Coheris Harry, et Tom Pertsekos, directeur du marketing. Ce dernier devrait prochainement compléter ses attributions par un rôle identique au niveau du groupe Coheris.



Pierre AUSSET et Tom PERTSEKOS
Decideo : Votre arrivée imprévue à la tête de Coheris Harry, en remplacement de Paul Landucci, a surpris les observateurs, mais également les clients et les salariés. Quels sont les critères qui vous ont amenés à relever le défi et prendre la tête d’une entreprise perturbée par le départ forcé de son fondateur ?

Pierre Ausset : Tom et moi-même avons toujours travaillé dans le domaine du progiciel, plus exactement dans l’industrialisation du savoir. Cette industrialisation du savoir technique passe par l’industrialisation d’un savoir fonctionnel. Nous avons quelques années et plusieurs expériences derrière nous... Tom a travaillé dans les années 80 chez le premier distributeur d’Oracle en France, puis nous avons travaillé au développement de Uniface, éditeur d’un AGL qui reste encore très utilisé dans les grands comptes en France. Uniface a ensuite été racheté par Compuware. Nous avons ensuite évangélisé un domaine dont vous entendrez parler dans les prochaines années, celui de la sécurité applicative du Web. Nous aurions pu choisir le confort et créer une société de services pour exploiter ce filon. Mais il nous semble que la niche de la Business Intelligence recèle encore un potentiel important de développement.

Decideo : Comment pouvez-vous parler de “niche” de la Business Intelligence alors que les analystes semblent au contraire penser que ce marché est devenu mature avec les rachats de 2007 (Hyperion, Business Objects, Cognos...). Beaucoup disent que la Business Intelligence est devenu une commodité et semblent penser que la croissance est derrière nous...

PA : La Business Intelligence se rapproche de plus en plus de la production, au sens “informatique de production”. Le sujet n’est plus de faire quelques rapports ci et là, mais de passer à leur industrialisation. Nous sommes en face d’une Business Intelligence de production, qui doit répondre aux mêmes contraintes que les applications informatiques les plus critiques.
Le fait que les grands acteurs comme Business Objects et Cognos aient été rachetés est au contraire une réelle opportunité pour Harry. Toute l’organisation commerciale des grands éditeurs de plate-formes (SAP, IBM, Oracle...) est ré-orientée vers la base clients. Il n’est plus question de gagner des parts de marché, mais de vendre un maximum de produits aux clients existants. Si vous êtes tout SAP ou tout Oracle c’est parfait. En revanche les clients qui ne sont pas dans la ligne du parti vont être délaissés. Ils vont donc regarder de nouveau ce que le marché propose, et nous serons là.

Decideo : Vous avez rejoint Coheris Harry dans un moment délicat : départ du fondateur, fronde des salariés qui soutiennent leur ancien PDG, clients qui expriment officiellement et publiquement leur inquiétude, cours de bourse et avenir de l’actionnariat de la maison mère plus qu’incertain... Pourquoi avoir choisi ce moment ?

PA : Nous avons accepté de venir vite pour rassurer les salariés. Pour les grands comptes clients, les difficultés que connaît Coheris ne sont pas significatives. Ils sont habitués, même en interne, à des difficultés parfois pires. Mais la taille modeste de Coheris a donné à ces difficultés une couverture médiatique sur-dimensionnée. Nous avons rencontré les salariés dès les premiers jours. Il nous semble que leur inquiétude était surtout de conserver leur “mode de vie”, c’est à dire de continuer à vendre des produits Harry en direct (et pas simplement comme un module annexe d’un CRM), en OEM avec d’autres solutions y compris même des solutions de CRM concurrentes de Coheris. Sur ce point, nous avons été très clairs. Coheris Harry reste un éditeur de logiciels décisionnels complémentaire mais indépendant de la suite Coheris CRM.

Decideo : Pensez-vous avoir été entendu, compris et cru par les salariés de l’entreprise ?

PA : Maintenant que tout est apaisé, les salariés commencent à voir les choses autrement. Mon rôle n’est pas de me mettre à la place de Paul Landucci, que je n’ai jamais rencontré. Je ne remplacerai pas le Père ! C’est aux salariés de faire l’histoire de Harry. Mon rôle est de les aider à exprimer leurs idées et surtout de les conforter avec l’extérieur.
Le jour même de notre arrivée, la R&D est venue frapper à la porte de notre bureau pour nous présenter ses projets dès le premier jour ! Ils voulaient relancer les projets en cours, en particulier la prochaine version, qui disposera d’une nouvelle interface utilisateurs, de plus d’interactivité et permettra une approche simplifiée pour l’utilisateur.

Pierre AUSSET et Tom PERTSEKOS
Decideo : Et le “vectoriel”, cette technologie qui semble faire la différence entre Harry et ses concurrents ?

Tom Pertsekos : Le vectoriel n’est pas une panacée, cela se saurait. Cette technologie est intéressante dans deux cas : énormément de données manipulées fréquemment dans des cubes, ou un client qui dispose d’un AS/400 par exemple et veut construire un data mart sans avoir besoin de monter un système intermédiaire avec une base de données et tout l’administration qui va avec.
La grande innovation des prochains mois sera l’intégration du Data Mining de SPAD dans les applications décisionnelles Harry. Avec cette intégration, Harry va reprendre l’initiative.

Decideo : Ne nous dites pas tout de même que “tout va bien dans le meilleur des mondes” ! Depuis plusieurs mois la situation en interne était plus que morose et que ce soit au niveau de Harry que de Coheris, l’ambiance comme les résultats ne sont pas au beau fixe !

PA : Certes. Il y a des choses à faire ! Un exemple. En arrivant, nous avons essayé de comprendre pourquoi la suite Harry n’était toujours pas intégrée à Coheris CRM. Nous avons fait chiffrer cette intégration à quatre mois/homme de développement seulement ! En trois ans, cette intégration simple n’a pas été faite. Il y avait certainement des problèmes “politiques” et de communication interne. Par ailleurs Harry Software développe ses produits de manière originale; les produits évoluent et sont améliorés uniquement en fonction des demandes des clients. C’est assez rare dans l’industrie du logiciel ! Et cela créé deux catégories de contacts : les clients, qui sont enchantés de voir le produit évoluer en fonction de leurs demandes mais vivent en vase clos, et les autres, qui du coup ne connaissent pas le produit ! Les clients sont satisfaits de la qualité du produit, mais dès qu’ils doivent se confronter à l’extérieur, même en interne dans leur entreprise, ils doivent en permanence justifier de leur choix de cette solution inconnue du marché. Qui connait Harry ?
Etonnement, les difficultés que nous venons de traverser peuvent être positives. On n’a jamais autant parlé de Harry que ces dernières semaines. Cela nous a permis de rencontrer les principaux clients en quelques semaines. 80 % des éléments qui peuvent nous rendre visibles existent. A nous de faire le reste.

Tom Pertsekos : Nous souhaitons communiquer en particulier au travers d’un réseau de partenaires. Coheris va recruter dans les prochaines semaines un véritable directeur des ventes indirectes. Il faut que les organisations commerciales soient favorisées à travailler en indirect avec les partenaires. Par ailleurs une personne en charge du marketing opérationnel va rejoindre le groupe début septembre. Son rôle : générer les contacts et détecter les projets. Actuellement nous signons trois affaires sur quatre lorsque nous sommes consultés. Le travail consiste donc à identifier un maximum de projets qualifiés par rapport aux particularités du produit.

Decideo : Et les clients, comment vont-ils être traités ?

PA : Nous allons adapter l’offre de services et la professionnaliser. Il n’est pas normal que le client ait le numéro de portable de son consultant et puisse l’appeler sans contrôle le soir ou le week-end. C’est certainement pratique mais pas professionnel. Là encore nous devons industrialiser. Les clients existants bénéficieront d’un TAM (Technical Account Manager) qui leur sera dédié. Aujourd’hui les produits Harry sont donnés, ou presque ! Mais nous n’avons pas l’intention d’augmenter d’un coup les prix. En revanche, nous devons mieux valoriser les services consommés par les clients; les clients que nous avons rencontrés le comprennent et l’acceptent parfaitement.

Decideo : Sur le papier, vous semblez avoir pensé à tout... Mais la place de Harry dans le groupe n’est pas encore parfaitement définie, et des incertitudes subsistent sur l’avenir capitaliste de Coheris...

PA : Aujourd'hui, pour toute société cotée en Bourse, il y a un risque de rachat par un groupe industriel. Concernant Coheris, ce risque est moins important aujourd'hui qu'à tout autre moment et deviendra presque nul après la mise en place du LMBO. Mais à un moment ou un autre, les financiers imposeront une séparation entre les activités services et édition de progiciels, qui clarifiera encore mieux les positions de chacun. Nous sommes en tous cas confiants pour le court terme. La période difficile
est passée et nous nous mettons au travail.



Dans la même rubrique :