Le recours à l’intelligence artificielle, nouvel enjeu organisationnel pour les gérants d’actifs


Rédigé par Matthieu Bleuse, Alpha FMC le 11 Octobre 2018

Les innovations technologiques offrent de réelles opportunités de développement de nouveaux modèles prédictifs et de nouvelles stratégies d’investissement. Mais la barrière à l’entrée est élevée.



Matthieu Bleuse, Principal au sein du cabinet de conseil Alpha FMC
Un rapport de l’AIMA (Alternative Investment Management Association) d’avril 2018, en partenariat avec Aberdeen Standard Investment, souligne le rôle toujours plus crucial de l'intelligence artificielle pour l'industrie des hedge funds : les sociétés qui ne développent pas ces capacités pour supporter leurs processus d'investissement pourraient bientôt se retrouver en position concurrentielle désavantageuse.

Les applications de l’IA dans les décisions d’investissement intéressent beaucoup les asset managers, tant alternatifs que plus traditionnels. Si certaines des techniques quantitatives utilisées dès les années 90 relevaient déjà du développement de l’intelligence artificielle, celles-ci ne participaient alors pas à la révolution actuelle, rendue possible par les progrès des neurosciences (passage au stade du deep learning), du big data, du cloud computing et du développement de processeurs de très haute performance. La promesse de ces nouveaux algorithmes est celle d’une capacité à détecter des configurations de marché, signaux et opportunités d’arbitrages plus complexes, plus efficacement que les modèles décisionnels jusqu’alors employés.

Les résultats sur des horizons moyen-long terme sont plus aléatoires

Il est aujourd’hui prématuré de conclure à une surperformance systématique des approches d’investissement utilisant l’IA.

Si les applications les plus concluantes concernent par nature les stratégies d'investissement court terme, voire très court terme comme le trading haute fréquence, nous constatons plusieurs limites des programmes de machine learning à assurer un pouvoir prédictif régulier dès lors que les modèles s'emploient sur des horizons d'investissement plus long terme. Le caractère fondamentalement non-stationnaire des données financières et les biais d’apprentissage étant deux exemples bien connus des principaux écueils rencontrés.

Nous constatons de meilleurs résultats lorsque la phase de data mining cherche non seulement à mieux modéliser les corrélations entre les variables au sein d'un régime donné, mais également à mieux prévoir les changements soudains de régime et à élargir le périmètre des données d’entraînement.

L'intégration de données extra-financières démontre également être un facteur clef dans le développement d’algorithmes prédictifs plus performants à moyen-long terme. La proposition de valeur de l’IA est très attendue sur ce domaine d’application, comme par exemple avec l’analyse du flux d’information disponible dans les médias et sur les réseaux sociaux.

L’accès aux données et leur structuration sont clé

Les sociétés de gestion devront mettre en œuvre des stratégies où l’accès plus ou moins privilégié à un gisement de données clef, notamment extra-financières, sera un avantage compétitif certain. Elles seront alors confrontées à la problématique de la structuration des données brutes. Opérer cette phase d’acquisition et structuration en interne est encore aujourd’hui assez éloigné du métier cœur du gérant traditionnel, qui préfèrera davantage contracter avec un acteur externe, nouer un partenariat stratégique, ou opérer une acquisition. Un certain nombre de FinTech ont d’ores et déjà développé des offres à destination d’acteurs des marchés de capitaux, tels que RavenPack ou Thomson Reuters News Analytics, dans ce cas sur le segment de la donnée structurée de sentiment de marché.

Incuber ou externaliser le développement et l’exploitation des algorithmes

Concernant le développement du programme d’IA à proprement parler, les sociétés de gestion peuvent choisir de l’internaliser dans un laboratoire dédié (à partir de la phase de conception et d’incubation), tel que le fait BlackRock dans son Lab for Artificial Intelligence récemment créé en Californie. Le choix de l’incubation en lab permet la déconnexion des contraintes opérationnelles et l’agilité propre à garantir le caractère disruptif de l’innovation recherchée.

Incuber le développement suppose néanmoins, outre un investissement élevé, un accès aux compétences en data science, qu’il est parfois difficile d’obtenir pour une société de gestion, et un délai aléatoire de commercialisation des programmes. Les gérants pour qui cette barrière à l’entrée sera trop forte pourront opter pour un modèle d’intelligence décentralisée, dans lequel les phases de construction, d’entraînement et de production des machines seront externalisées auprès d’un ou plusieurs acteurs spécialisés. Le gérant reste in fine le responsable de la mise en œuvre des signaux générés dans sa construction de portefeuille.

La transparence reste un enjeu majeur pour assurer la confiance des investisseurs

L’un des enjeux opérationnel majeur de l’utilisation de l’IA restera la capacité de la société de gestion à mettre en œuvre un dispositif de contrôle approprié, et à assurer auprès de ses investisseurs une transparence par nature complexe à mettre en œuvre avec ce type d’approche d’investissement. La transparence doit porter à la fois sur l’approche d’investissement (intégrant l’aspect purement technologique), les risques, mais aussi l’attribution de performance ex post.

L’industrie de la gestion alternative a longtemps souffert d’un manque de transparence. Une gouvernance robuste alliée à une transparence des processus de gestion est aujourd’hui plus que jamais un pré-requis essentiel de la confiance des investisseurs et de facto du succès commercial des programmes d’IA.



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