Les dirigeants peuvent-ils enfin se fier à leurs tableaux de bord ?


Rédigé par par Michel Karma, Directeur Associé d’EFFIS le 12 Février 2010

Après des années passées à obtenir des sources de données fiables et cohérentes, les directions d’entreprise sont confrontées maintenant à un problème tout aussi fondamental : celui de décisions prises au vu de données globales certes exactes, mais souvent trompeuses quand elles ne reflètent pas le comportement des données sous-jacentes.



Michel Karma, Directeur Associé d’EFFIS
Prenons quelques exemples concrets. Celui tout d’abord d’un distributeur qui déstocke tous ses articles sans exception à moins 20% du prix habituel. Une fois l’opération terminée, le comptable en annonce le résultat au directeur des ventes : « Vous avez vendu la même quantité d’articles qu’au cours de la promotion de l’an passé, mais le prix moyen global a augmenté et donc également notre chiffre d’affaires. La direction s’interroge ? Comment le prix moyen a-t-il pu augmenter alors que les prix de tous les articles ont baissé de 20% ? Et le comptable d’expliquer que les clients ont profité de l’offre promotionnelle pour acheter des articles dans l’ensemble plus chers ; si bien que globalement le prix moyen a augmenté, même si les prix des articles pris individuellement ont baissé.

Autre exemple : les syndicats se plaignent au sein d’une entreprise que les salaires sont gelés depuis trois ans ; et pourtant la direction soutient de bonne foi que le salaire moyen a augmenté ! Qui a raison ? Tout le monde, car il y a eu des délocalisations de la production désormais sous-traitée en Asie. Il y a du coup moins d’ouvriers parmi les salariées de l’entreprise dont la proportion de cadres a logiquement augmenté. Donc l’entreprise a été vers une proportion de salaires plus élevés, et mécaniquement le salaire moyen de l’ensemble de l’entreprise a augmenté, alors que cela n’a pas été le cas des salaires individuels.

Voici un troisième exemple : l’un des fournisseurs d’une chaine de magasins a classé l’ensemble de ces magasins par régions. Le nouveau directeur commercial du fournisseur propose de concentrer les efforts sur les principales régions, et de laisser de coté une ou deux régions de faible importance pour le chiffre d’affaires global de l’entreprise. Mais certains dans la force de vente ne sont pas d’accord : ils soulignent que l’une de ces régions, comportant certes peu de magasins, possède le chiffre d’affaires le plus élevé par magasin de toute la chaine, avec de belles perspectives de développement. On a donc là une petite région au niveau global et cependant les magasins les plus performants au niveau local.

Ces réelles divergences de points de vue entre le global et le local, le stratégique et l’opérationnel, sont plus la règle que l’exception, contrairement à ce que l’on pourrait penser. Et il ne s’agit pas ici simplement de divergences subjectives mais de données chiffrées. Dans cette optique, nous avons introduit un nouveau type d’indicateurs pour mesurer les disparités entre global et local : l’Intra est la partie du local qui se comporte comme le global ; l’Extra est à l’opposé la partie du local qui se comporte différemment du global. L’Extra est donc une mesure des divergences de comportement entre global et local. Si l’on se réfère aux exemples précédents, l’Extra est dans les trois cas égal à 100% : un prix moyen global qui monte et des prix individuels tous en baisse ; un salaire moyen global qui croit et des salaires individuels qui ne croissent pas ; les ventes les plus faibles au niveau régional avec les ventes les plus élevées par magasin. Ainsi par trois fois, nous voyons un global qui se comporte complètement différemment du local

Certes ce sont là des cas d’école, mais quelle que soit la situation de l’entreprise, notre expérience montre que l’Extra est généralement élevé. Sans rentrer ici dans les détails de calcul, l’Extra est souvent compris entre 30% et 60%, avec des pics à 70% et plus qui ne sont pas rares. C’est dire si les différences de comportement entre global et local peuvent être prononcées. Comment gère-t-on alors une entreprise avec des tableaux de bord qui n’offrent souvent qu’une image très déformée de la réalité opérationnelle ?

Au niveau d’un état-major, ces questions sont peu évoquées sauf en cas de problèmes particuliers, car les dirigeants ont rarement le temps de descendre dans le détail des données. La réponse est qu’heureusement, les managers connaissent leur métier et leurs données (comme dans l’exemple ci-dessus de la chaine de magasins). C’est l’intervention humaine à tous les niveaux, qui supplée aux limites des tableaux de bord actuels.

Mais que dire de la complexité d’une grande entreprise, ou même de certaines entreprises moyennes devant gérer des milliers de clients et de produits ? Ou bien de la complexité de certains marchés où se bousculent les concurrents ? Que faire quand il devient difficile d’avoir une connaissance du détail des chiffres sans s’y perdre ? Comme l’on sait, « le diable est dans les détails » et peut invalider parfois la stratégie la mieux pensée à un niveau global.

Une première étape serait d’introduire l’Extra dans les tableaux de bord d’entreprise, permettant de savoir là où il est réellement utile de « forer » dans le détail des données. Si l’Extra est faible, les données sous-jacentes sont plutôt homogènes et le global est un bon reflet du local ; par contre si l’Extra est élevé, les données sous-jacentes sont hétérogènes, et souvent le global n’est qu’un pâle reflet du local. Il faut alors creuser dans les détails. Une deuxième étape serait de se doter d’outils d’exploration de la complexité, permettant de mieux gérer les convergences et les divergences inévitables de points de vue entre les différents niveaux d’une organisation. Encore un grand chantier pour le futur de la Business Intelligence...



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