Management de Projets : Et si vous passiez à l’Hybride ?


Rédigé par Mustafa REKIK, BIA IT Services le 3 Avril 2019

Les méthodologies classiques ont plus d’un demi-siècle d’existence, elles ont déjà largement fait leurs preuves mais font toujours face à quelques challenges.
Les méthodologies agiles sont plus jeunes et ont appris la flexibilité dans un monde changeant, de moins en moins prévisible mais elles ont aussi montré certaines limites.
Croire qu’il est possible de bien gérer tous les projets quelles que soient leurs caractéristiques avec une seule méthodologie est un mythe, l’objet de cet article est d’enrichir la panoplie des possibilités par une nouvelle voie qui prend de plus en plus d’ampleur et de légitimité : les approches hybrides.



Mustafa REKIK, BIA IT Services
Le choix d’une méthodologie de management de projet est une décision organisationnelle qui relève de la stratégie d’entreprise.
En raison de l’innovation croissante et du développement accéléré et imprévisible du marché, de nombreuses entreprises se tournent vers le management de projet pour optimiser la création de la valeur et renforcer leur compétitivité.

En cas d’échec d’un projet, sa méthodologie de management est souvent citée en tête de liste des causes de cette malheureuse issue. Autant se donner les moyens dès le départ de bien analyser son organisation et sélectionner la meilleure combinaison de méthodes, techniques, procédures, règles et bonnes pratiques pour arriver à bon port.

Les méthodologies classiques

D’un côté, les méthodologies classiques sont connues pour être structurées et orientées planning. Elles mettent l’accent sur les suivi et contrôle de l’avancement afin de rectifier le tir si nécessaire et constituer une nouvelle base ajustée de référence.
Les méthodologies classiques comme le Modèle en Cascade, le Cycle en V ou en Spirale, impliquent de la discipline et la préparation d’un planning détaillé le plus tôt possible. Les éventuelles intempéries doivent être anticipées, quantifiées et qualifiées dans le plan projet.

Les sources de variation sont identifiables et peuvent être traitées grâce à des outils connus à l’avance et intégrés dans le projet depuis son démarrage.

Les changements sont acceptés et pris en charge dans le cadre de procédures, de préférence formelles et d’instances dédiées.
La documentation est assez présente et joue un rôle prépondérant dans la communication entre les différentes parties prenantes.
Enfin, les processus de ces méthodologies sont globalement de deux types : ceux de management de projet qui assurent un déroulement maitrisé et fluide de l’ensemble du projet et ceux orientés produit qui se concentrent sur la création des livrables, produits et services attendus.

Ces méthodologies présentent plusieurs bénéfices, notamment :
1- Prédictibilité : La nécessité de penser à tout ou presque dès le début est plutôt rassurant, cela nous donne le sentiment de maitrise et surtout de crédibilité auprès du sponsoring.
2- Tolérance au turnover : La structuration et la formalisation permettent de remédier aux absences (courtes/longues) et remplacements des acteurs projet.
En effet, les opérations de partage de connaissances et transfert de compétences sont relativement fluides et à faible-cout.
3- Adhésion des parties prenantes : Le dispositif projet mis en place dès le démarrage et l’importance capitale attribuée au besoin client donnent de la transparence sur l’ensemble des composantes du projet et facilitent l’adhésion des parties prenantes.
Les processus de validation des livrables et de revue du déroulement d’une partie ou la totalité du projet permettent de qualifier la réussite du projet et d’améliorer les performances de l’entreprise. Cela augmente aussi la légitimité de la méthodologie utilisée aux yeux des décideurs.

En revanche, ces méthodologies font toujours face à certains challenges :
1- Manque de flexibilité : C’est peut-être la critique la plus courante (à tort ou à raison…) concernant les méthodologies classiques.
Une fois le kick-off meeting passé, les changements vont avoir un coût et des impacts qui augmentent de plus en plus avec l’avancement du projet. Autrement dit, les turbulences intempestives et répétées ne sont généralement pas appréciées dans ce type de méthodologies.
2- Risque d’insatisfaction client : Dans un environnement peu stable, il est difficile de collecter en phase de démarrage, l’exhaustivité des besoins et exigences du client.
Si l’on y ajoute la concentration de l’implication du client en début de projet pour exprimer son besoin et en phases de validation/revue, cela augmente le risque de frustration devant un rendu pouvant être jugé non conforme aux attentes.
3- Risque de brider l’innovation : L’application des processus à outrance peut rendre le déroulement du projet assez bureaucratique. Les processus de gestion de projet ne doivent pas éclipser ceux qui traitent la création des produits car cela peut pousser à fonctionner d’une manière mécanique et réduire le champ aux idées nouvelles et à l’innovation d’une manière générale.

Les méthodologies agiles

De l’autre côté, les méthodologies agiles sont connues pour être adaptatives, encouragent à accueillir positivement les changements et se montrer flexible.

Les méthodologies agiles comme le Scrum, eXtreme Programming ou DSDM, sont inspirées du manifeste Agile (en 2001) et ses 12 principes.

La philosophie de l’agilité n’est pas contraire aux règles/processus, elle donne plutôt plus de poids à certains éléments dans le but de prôner plus d’équilibre et d’implication de l’ensemble des parties prenantes.
Les méthodologies agiles sont incrémentales et itératives. Elles impliquent des cycles courts de développement (Sprint, Timebox, …) et livraison de version de produits fonctionnels.

Il est nécessaire de déployer des équipes projet hautement autonomes, engagées et capables de prendre des décisions opérationnelles. L’escalade récurrente vers les instances hiérarchiques est déconseillée afin de ne pas casser la dynamique de livraison continue.

Les méthodologies agiles proposent un ensemble de rituels dont les noms changent d’une méthode à l’autre : Poker Planning, Daily Meeting, Rétrospective, Revue, …

Enfin, la vision Produit donne une importante capitale à l’aspect « Delivery ». Cela passe souvent par des outils visuels comme les Post-it, Boards, Figures, Prototypes … On en voit beaucoup dans les open-space d’équipe de projets agiles.

Ces méthodologies présentent plusieurs bénéfices, notamment :
1- Amélioration de la satisfaction des clients finaux : Comme la satisfaction client et au cœur de la philosophie agile, tous les moyens sont déployés pour être au plus près du client, à son écoute pour avoir un résultat adapté à ses exigences (mêmes si ces dernières sont peu clairement identifiées/connues au début du projet…).
2- Impact positif sur l’implication des acteurs projet : L’autonomie des acteurs projets leur permet de prendre des décisions (responsables bien évidemment) sans faire appel à la hiérarchie projet, ce qui augmente leurs implication et engagement.
3- Promotion de la flexibilité et l’adaptabilité : Les méthodologies agiles permettent de gérer avec succès des projets et environnements imprévisibles, voir chaotiques grâce à l’abolition de certaines barrières classiques comme la bureaucratie excessive ou la résistance au changement.

Par contre, ces méthodologies affichent parfois certaines limites, comme par exemple :
1- Difficulté d’adhésion culturelle : Comme précisé précédemment, l’agilité est avant tout une philosophie. Y adhérer implique d’accepter certains compromis comme la délégation d’une partie de son pouvoir de décision, le déblocage de budgets pour des résultats peu clairement prédéfinis, … D’ailleurs, l’une des bonnes pratiques de ces méthodologies consiste à expliquer dès le démarrage du projet la philosophie agile aux instances projet et exiger leur adhésion.
2- Difficulté organisationnelle : L’exigence élevée de l’engagement de l’équipe projet parait difficilement atteignable pour des équipes physiquement distribuées ou même affectées à temps partiel au projet.
La structure organisationnelle de l’entreprise peut nécessiter des aménagements pour espérer tirer profit des méthodologies agiles.
3- Scepticisme vis-à-vis du potentiel de scalabilité projet : l’efficacité des méthodologies agiles pour les projets de développement logiciel à taille limitée n’est plus à démontrer. En revanche, l’application de ces méthodologies pour des projets d’envergure touchant différents domaines/industries n’est pas encore acquis et demande encore plus d’expérimentations sur plusieurs aspects comme l’utilisation (très) limitée de la documentation.

L'approche hybride

L’approche hybride combine des aspects de méthodologies classiques et agiles afin de sublimer leurs avantages et remédier à leurs insuffisances. C’est une nouvelle voie de compromis pragmatique entre structuration et flexibilité.
Pour une certaine catégorie de projets, la probabilité de succès peut être jugée insuffisante en appliquant une méthodologie pure classique ou agile car l’organisation souhaite maintenir un contrôle poussé tout en tolérant des changements fréquents des objectifs projet.

Pour isoler cette catégorie candidate, donc à l’application d’une approche hybride, 5 critères d’évaluation peuvent être utilisés :
1. La taille de l’équipe projet,
2. La criticité du projet,
3. Le degré de volatilité de l’environnement,
4. La matrice de compétences/motivations de l’équipe projet,
5. La compatibilité avec la culture d’entreprise.

Alors que les petits projets sur un seul site dans un environnement changeant s’adaptent mieux aux approches agiles, les projets distribués à grande échelle dans des environnements stables conviennent plus aux approches traditionnelles pilotées par un planning assez strict en raison des éventuelles dépendances entre les projets et les équipes.

De plus, les structures organisationnelles et les cultures fondées sur l’innovation peuvent adopter des approches agiles plus facilement que celles marquées par les processus.

En revanche, les projets qui combinent une ou plusieurs caractéristiques des projets classiques et agiles sont candidats à une approche hybride spécifique au contexte et à l’environnement.

Deux approches hybrides sont possibles :
1- Décomposition du projet en phases et choix de la meilleure méthodologie possible (agile ou classique) pour chacune des phases selon le niveau de clarté/certitude des exigences.

Le principe étant : plus le niveau de clarté/certitude d’une phase est élevé, plus l’approche classique sera appropriée. Dans le cas contraire, l’approche agile offrirait de meilleurs résultats.
Par exemple :
a) Les phases d’avant-projet, spécification, implémentation hardware et acceptance sont menées en méthodologie classique.
En revanche, l’implémentation logicielle et intégration sont menées en agile.
b) Les phases d’avant-projet et spécification sont menées en agile.
Par contre, les phases d’implémentation et acceptance sont menées en méthodologie classique.
Notons que les changements fréquents agile/classique entre les phases du même projet peuvent impacter négativement la cohérence globale du déroulement du projet.

2- Création de deux niveaux de pilotage : un au niveau global projet mené en méthodologie classique, puis un deuxième niveau pour les itérations (Sprint, Timebox, …), mené en méthodologie agile.
Des instances projet dédiées sont créées à chaque niveau avec des acteurs relais qui font le lien entre les deux niveaux.
Un planning global assez light avec un contrôle adapté (méthodologie classique) est mis en place au premier niveau, puis l’équipe projet au deuxième niveau bénéficie d’une délégation de pouvoir assez importante afin de gérer (en méthodologie agile) les itérations de livraison de MVP (Minimum Viable Product).

L’approche hybride offre de nouvelles opportunités aux organisations, notamment :
1- Utilisation du meilleur des deux mondes : La volonté première d’associer les deux méthodologies classiques et agiles est de pouvoir tirer profit de leurs bénéfices respectifs.
Par exemple : les freins à la scalabilité ou à la flexibilité face au changement peuvent être surmontés plus facilement avec une palette d’outils plus large permettant de déployer la meilleure réponse possible à chaque cas.
2- Optimisation des performances projet : L’adoption d’approche hybride permet de continuer à exploiter les techniques traditionnelles de mesure de performance qui fonctionnaient bien, d'abandonner les techniques traditionnelles peu performantes et d'intégrer les techniques agiles de mesure de performance dans des zones appropriées. L'utilisation d'un cadre hybride contribue aussi à l’amélioration de plusieurs aspects de la performance, tels que l’efficience de la communication, l'engagement ou le leadership.
3- Augmentation de probabilité de succès : C’est une conséquence naturelle des deux bénéfices précédents.
Les approches hybrides peuvent aussi améliorer le taux de réussite des projets sur des points clefs, fixes ou variables selon la méthodologie utilisée comme le coût ou les délais.

D’un autre côté, comme toute nouvelle approche, une conduite de changement sur-mesure sera nécessaire afin de faire face aux obstacles de mise en œuvre, notamment :
1- Perception comme un mélange de deux méthodologies opposées : Si vous mettez les pures « traditionnalistes » et « agilistes » autour de la même table, vous imaginez bien combien il sera difficile de les convaincre de déployer une approche mix pour certains projets...
Il y a incontestablement des divergences dans les principes des deux méthodologies. Les surmonter pour faire de l’hybride, notamment dans des organisations habituées aux approches classiques n’est pas simple, mais n’est pas impossible non plus…
2- Risque de création de tensions : L’approche hybride peut être porteuse de tensions et/ou conflits à différents niveaux de l’organisation : management, ressources humaines, processus et technologies. La gestion de ces risques est primordiale dans la préparation à l’entrée dans le monde des approches hybrides notamment pour les premières expérimentations.

En conclusion

Il n’y a pas de bonne ou mauvaise approche de management de projet, il est surtout important de bien connaitre son environnement et analyser les expériences (bonnes ou mauvaises) du passé pour choisir la meilleure méthodologie possible à son projet : Classique, Agile ou bien succomber à la tentation de l’Hybride !



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