Modèle Triple Impact : pour un pilotage proactif des processus et des projets


Rédigé par Patrick JAULENT, Consultant le 29 Décembre 2006

Patrick JAULENT, Consultant, Président du club Balanced Scorecard France. Co-auteur du livre « Piloter vos performances » Editions AFNOR



Le Modèle Triple Impact est le fruit de plusieurs projets sur les indicateurs, rapports d’activité et autres tableaux de bord. Deux projets fixèrent les bases du futur modèle :
Le premier projet avait pour finalité d’améliorer le système de reporting d’un grand aéroport français. Car pour son directeur il y avait « …Trop d’indicateurs, trop d’indicateurs diffusés en retard, trop de ressources consacrées à leur mise en œuvre, trop de tableaux de bord et/ou rapport d’activité volumineux, trop cher, beaucoup trop cher… »
Le second projet, du domaine de l’assurance, avait pour finalité de changer le comportement des managers. « Vos tableaux de bord sont trop orientés réaction et pas assez anticipation. Avec de tels outils, vous pouvez juste me dire que la prochaine fois vous ferez mieux. De plus, vos tableaux de bord comportent peu d’indicateurs de risque et de résultat- impact, et beaucoup trop d’indicateurs d’activités. Vous me présentez dans vos tableaux de bord des indicateurs que je possède déjà dans les rapports d’activité. »

Ce constat n’est pas nouveau !

Lorsque nous avons commencé nos premières missions de conseil (interne/externe) nous n’avions pas réellement de méthode pour traiter ce type de problème. Il nous a donc paru opportun de créer notre propre méthode de travail. C’est ainsi qu’est né le Modèle Triple Impact, à partir des besoins du terrain. Il ne s’agit pas d’un nouveau modèle, mais plus d’une approche méthodologique sur les indicateurs de performance articulée autour de deux postulats de base :
1er postulat : la performance d’un processus - activité est à l’extérieur du processus. Celle-ci est évaluée à l’aide d’indicateurs de résultat.
2e postulat : la performance d’un programme, d’un projet, d’une action, d’une initiative correspond à qu’il reste lorsqu’il est terminé, en notant toutefois qu’avec le temps cette performance devient de moins en moins perceptible. Comme pour un processus – activité, la performance d’un programme, d’un projet, d’une action est évaluée à l’extérieur, mais à l’aide d’indicateurs d’impact. Que reste-t-il dans l’entreprise lorsque la mission d’un consultant est terminée ?

Nous aurions pu appeler ce modèle, « triple performance, triple enjeux, triple effet, triple résultat.. », nous avons toutefois décider de l’appeler « triple impact » pour rappeler le fait que la performance d’un processus ou d’une action n’est pas la quantité de sortie produite, mais bien l’utilité économique, social, environnemental de cette utilité. Et puis, il fallait bien faire un peu de marketing pour « vendre » le modèle en interne et externe.

1. Le Modèle Triple Impact

Le Modèle Triple Impact (désormais noté MTI) est composé de deux éléments clés : un graphisme et son tableau de bord associé, auxquels peuvent s’ajouter des informations optionnelles telles que des fiches d’indicateurs. Avec le MTI, le graphisme devient une sorte d’idéogramme exprimant directement l’idée, sans le secours de nombreux mots. Le graphisme doit servir de base à la réflexion sur les indicateurs. Le tableau de bord n’est donc pas la finalité du modèle.
Définition d’un MTI
Le modèle triple impact repose sur une idée simple : l’enchaînement logique de différents types d’indicateurs et/ou d’objectifs selon un principe déterministe : le principe de causalité. Cette représentation permet ainsi de mieux visualiser la temporalité entre les différents indicateurs qui composent le modèle et d’envisager un pilotage proactif. Nous avons ainsi pour chaque MTI un ou plusieurs indicateurs :
D’entrée ;
De risque ;
De sortie d’activité ;
D’impact immédiat ;
D’impact intermédiaire ;
D’impact ultime ;
D’environnement externe
1er postulat : la performance d’un processus est à l’extérieur du processus évalué sous forme de « résultats »
Nous vous proposons d’identifier l’enchaînement logique d’indicateurs permettant de piloter la performance du processus « traiter les appels d’offres » d’une organisation fictive. L’objectif du processus, illustré par résultat final attendu, est mesuré à l’aide de l’indicateur de résultat ultime chiffre d’affaires signées.

Commençons la construction de l’enchaînement logique d’indicateurs par les indicateurs d’entrée.

- Indicateur d’entrée
Un indicateur d’entrée de processus spécifie la quantité et parfois la qualité des moyens et de gestion, que l’on met en oeuvre pour atteindre l’objectif fixé au processus.
Les indicateurs de moyens concernent :
Le capital, budget ;
La main-d’œuvre « fixe » ;
La matière ;
L’information ;
L’énergie.

Les indicateurs de gestion concernent :
les politiques et procédures ;
la main-d’œuvre « variable » identifiée par exemple par le taux d’intérim, le taux de saisonniers, le taux de sous-traitance.

Dans notre exemple, les moyens mis en œuvre par le processus « traiter les appels d’offre » sont évalués à partir de trois indicateurs d’entrée :
Le nombre d'appels d'offre ;
Le nombre d'inter- contrat ;
Le nombre de personnes habilitées à répondre aux appels d'offre.

- Indicateur de risque
Après avoir identifié les indicateurs d’entrée du processus, vous pouvez identifier les événements ou les actions susceptibles d’affecter les résultats du processus.

Dans notre exemple, l’évaluation des risques susceptibles d’affecter l’atteinte de l’objectif est assurée à l’aide deux indicateurs que sont :
Le taux de profils non disponibles ; Point de profil demandé disponible ? pas de réponse ? pas de CA !
Le taux de disponibilité des personnes habilitées à répondre aux appels d’offres ; pas/peu de disponibilité des personnes habilitées pour rédiger les réponses aux appels d’offre ? pas de réponse ? pas de CA !

- Indicateur de sortie de processus - activité
L’indicateur quantitatif ou qualitatif de sortie d’un processus révèle son volume de sortie. Dans la méthode PBC-ABC (Process Based Costing - Activity Based Costing) cet indicateur est d’ailleurs appelé inducteur ou générateur d’activité.

Dans notre exemple, la quantité de sortie générée par le processus est évaluée à l’aide de l’indicateur
Nombre de réponses aux appels d’offres.

Certes, les indicateurs de sortie d’une activité ne manquent pas d’intérêt pour suivre et communiquer sur un volume d’activités, pour autant, ils ne sauraient être assimilés à de « véritables » indicateurs de performance du processus. Ils permettent de communiquer sur un « stock » de sorties : stock de réponses aux appels d’offres. Ces indicateurs sont utilisés dans les rapports d’activité.

Dans le MTI nous distinguons trois niveaux de résultat :
Le résultat immédiat : qui « préserve » les résultats du processus (le minimum !) ;
Le résultat intermédiaire : qui « force » les résultats du processus ;
Le résultat final ou ultime : le constat !

- Indicateur de résultat immédiat
L’indicateur de résultat immédiat illustre une vision à court terme de la performance d’un processus. Ce type d’indicateur (sa valeur) « préserve » l’existence du processus (et parfois de son manager).

Dans notre exemple, le résultat immédiat du processus est évalué à l’aide de l’indicateur
Nombre de réponses aux appels d’offres retenus : Si aucune réponse aux appels d’offre est retenue par le client, inutile de poursuivre le processus dans ces conditions.

- Indicateur de résultat intermédiaire
Avec le MTI, le pilotage du processus est assuré par l’indicateur de résultat intermédiaire. Cet indicateur avancé « force » l’indicateur de résultat ultime. C’est cet indicateur (sa valeur) qui déclenchera un projet, une action, une initiative d’amélioration.

Dans notre exemple, le résultat intermédiaire du processus est évalué à l’aide de deux indicateurs
Nombre de renouvellements de contrat : qui précise le niveau de fidélisation client
La valeur du portefeuille d’affaires pondéré global qui indique le chiffre d’affaires potentiel (appel d’offre x : probabilité de succès de 60 %, appel d’offre y : probabilité de succès de 80 %)

Vous pouvez également utiliser des ratios de performance tel que nombre de renouvellements de contrats / nombre de réponse aux appels d’offre qui indique le taux de succès des appels d’offre.
Nous insistons, l’indicateur de résultat intermédiaire est l’indicateur de pilotage d’un processus.

- Indicateur de résultat ultime
Dans le modèle MTI, la performance ultime d’un processus est évaluée à l’aide de l’indicateur de résultat ultime. Cet indicateur illustre le but, la raison d’être d’un processus. Cet indicateur retardé est nécessaire, mais il ne permet pas de piloter le processus. Il peut simplement inciter son responsable à dire par exemple, que le chiffre d’affaires signées est bon, ou que la prochaine fois il sera meilleur. Ces indicateurs indiquent une performance du passé : une performance dans le rétroviseur.

- Indicateur d’environnement
Les indicateurs d’environnement situés en aval et en amont du processus visent à identifier le contexte dans lequel celui-ci évolue.

Dans notre exemple, le niveau de reconnaissance du fournisseur par le client peut influencer les résultats immédiat et intermédiaire du processus. L’entreprise est-elle référencée par le service achat ?

2e postulat : la performance d’un programme, d’un projet, d’une action, d’une initiative est ce qu’il reste lorsqu’il est terminé…
Avec ce second postulat du MTI, nous souhaitons mettre en évidence que le « résultat » n’est pas « l’impact ». La performance d’un projet de réalisations hydrauliques n’est pas le « respect des prévisions », ni même le nombre de personnes accédant à l’eau, mais bien les changements durables dans la vie des nouveaux accédants à l’eau. L’impact, c’est ce qui reste quand le projet, l’action, l’initiative est terminée. Ainsi, une action de conseil devrait être évaluée en termes d’impact et non pas en termes de résultat. Mais les sociétés de conseil sont-elles prêtes à changer leur comportement ?

L’évaluation de l’impact permet
– d’établir l’utilité de l’action dans la durée ;
– de définir les réorientations et les suites à donner à l’action ;
– d’améliorer la qualité des actions futures.

Dans notre exemple, un objectif d’amélioration du chiffre d’affaires de 15 % a été fixé. Le responsable du processus pense que sans une action appropriée, la cible de + 15% sera difficilement atteinte. Il décide donc de lancer un projet ambitieux intitulé « capitalisation intellectuelle. » Le but de ce projet est clair, améliorer la productivité des réponses aux appels d’offre afin d’augmenter le chiffre d’affaires de 15%, sachant qu’il y a un risque concernant le taux de disponibilité des personnes habilités à répondre aux appels d’offre. La tactique imaginée consiste donc à capitaliser des réponses aux appels d’offres dans des bases de données afin d’augmenter le nombre de personnes habilitées à répondre aux appels d’offre et ainsi augmenter la productivité globale par la consultation et la réutilisation de données.

Piloter un processus c’est comme piloter une voiture : on ne donne pas de grands coups de volant à droite et à gauche pour éviter les écueils sur la route. Piloter, c’est faire de petits ajustements réguliers : sinon il faut changer le processus (et/ou son manager !).

Les indicateurs d’impact caractérisent la performance d’un projet, d’une action. Ils doivent permettre de mesurer un écart entre la situation qui existait au début du projet ou de l’action, et celle lorsque le projet ou l’action est terminée. Les indicateurs d’impact se différencient des indicateurs de résultat car en plus de mesurer un écart, ils doivent fournir des indications sur les dynamiques de changement.

Dans notre exemple, l’impact serait à rechercher dans les conséquences durables de l’augmentation de la productivité des personnes habilitées à répondre aux appels d’offres, ainsi que dans l’augmentation du CA.

L’impact, c’est ce qui demeure après l’action. Cela ne signifie pas qu’il faille attendre la fin de l’action pour en connaître la teneur. Si tel était le cas, nous perdrions la possibilité de repérer en cours d’action des combinaisons d’effets positives qui seraient à renforcer, ou négatives, et qu’il faudrait dans ce cas minimiser par une réorientation de l’action. (F3E, CIEDEL)

- Limites sur les indicateurs d’impact
Dans certaines organisations il est parfois difficile de choisir entre un indicateur de sortie d’activité et un indicateur d’impact. C’est par exemple le cas dans le domaine de la santé.

Dans ce domaine, les indicateurs d’impact évaluent si le soin a obtenu certains résultats, alors que les indicateurs d’activité évaluent si la médecine a été correctement pratiquée.

Les indicateurs d’activité informent de l’action sur le patient : ils évaluent le degré de conformité à de diverses « normes admises » dans le système de soins. Les indicateurs d’activité peuvent être le « taux d'utilisation des procédures de laboratoire », le « taux d'autopsie », la « compétence technique dans les procédures diagnostiques et thérapeutiques, la continuité du soin et la longueur moyenne du séjour par diagnostic. Dans certaines circonstances telles que la gestion des maladies chroniques, les indicateurs d’activité seront plus appropriées que des indicateurs d’impact.

Les indicateurs d’impact sont moins vulnérables face aux erreurs ou aux fausses déclarations par les professionnels de santé.

Alors que les indicateurs d’impact sont de toutes évidences pertinents, ils peuvent être néanmoins rejetées pour diverses raisons comme par exemple que le fait que les systèmes de santé ne produisent pas nécessairement la santé.

Pour ma part, lorsque j’ai des problèmes de santé, je ne désire pas « deux visites chez un médecin (une visite chez un généraliste et une visite chez un spécialiste), cinq jours d’hospitalisation, trois rayons X, et seize comprimés d’antibiotiques, mais plutôt l'espérance que mon état de santé va s’améliorer ».

Les indicateurs d’impact permettent de distinguer les résultats suite aux traitements effectués (mesurés à l’aide d’indicateurs d’activité) de ceux qui résultent d’autres facteurs tels que la progression normale d’une maladie, l’âge, le sexe, le statut socio-économique, l’hygiène de vie.

2. Conclusion

Lorsque nous avons créé le Modèle Triple Impact, nos objectifs étaient de disposer d’une méthodologie de réflexion et de construction des rapports d’activité, des tableaux de bord, et Balanced Scorecard en identifiant les « bons » objectifs et indicateurs.

Le modèle est aujourd’hui instrumenté par plusieurs éditeurs de logiciels (Microsoft, Oracle…) dans leurs offres de pilotage de la performance des organisations (BI, BPM, BSC,..) et utilisé par plusieurs entreprises.


Bibliographie :

Modèle Triple Impact, Editions - confidentiel (livre en cours)

Piloter vos performances, Editions AFNOR (Patrick Jaulent & Marie-Agnès Quarès), 2006

Méthodes de gestion : comment les intégrer. Editions d’organisation (Patrick Jaulent & Marie-Agnès Quarés), 2004

Les leviers de la performance : Editions Riscus (Patrick Jaulent & Marie-Agnès Quares), 2003

« Modèle Triple Impact » est une marque déposée à INPI.




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