Teradata nous propose de passer à la Business Intelligence personnelle

Entretien avec Stephen BROBST, directeur de l'innovation technologique chez Teradata


Rédigé par le 23 Septembre 2011

Mi-juillet à l'occasion de la conférence des utilisateurs Microstrategy, nous avons pu rencontrer Stephen BROBST, directeur des technologies chez Teradata en marge d'une conférence qu'il donnait sur la "consumer intelligence". Un entretien qui a donné lieu à un débat passionnant que nous avons essayé de retranscrire au mieux dans cet article.



Stephen BROBST, CTO de Teradata
Decideo : Quoi de neuf en matière d'informatique décisionnelle ? On parle beaucoup de big data, mais au-delà du concept marketing, quelles sont réelles innovations ?

Stephen BROBST, directeur des technologies chez Teradata : Il y a deux points clefs. Les plates-formes mobiles vont tout changer. Parce que les plateformes mobiles vont permettre aux professionnels d'accéder aux applications, mais également aux consommateurs. Tout le monde va être en ligne en permanence, et prêt à accéder à de l'information.
Mais le second point, sans doute le plus intéressant du point de vue prospectif, est l'évolution de la "Business Intelligence" à la "Consumer Intelligence". De l'intelligence des affaires à l'intelligence du consommateur. Intelligence au sens intelligence économique, manipulation de données. Habituellement, nous créons un entrepôt de données pour permettre à nos employés de prendre plus rapidement, de meilleures décisions. Si je suis une banque, je construis habituellement un entrepôt de données pour alimenter mon département marketing, mon département finances, mon département ressources humaines, etc. C'est bien. Mais si maintenant je pouvais apporter à mes clients des informations pour leur permettre de prendre leurs propres décisions financières. C'est par exemple le cas chez Lloyds Banking Group. Ils viennent de mettre cette fonction en service. Vous pouvez directement aller sur leur site de banque en ligne et accéder à un outil d'aide à la prise de décisions, basé sur Teradata. Vous voulez savoir combien vous pouvez épargner pour les études de vos enfants, en fonction de leur âge, des études que vous souhaitez les voir faire, de votre capacité de paiement mensuelle, etc.

Decideo : Mais nous faisons cela depuis des années, les sites des banques regorgent de simulateurs en tous genres. Quelle est la nouveauté ?

Stephen BROBST : Il ne s'agit pas de simples simulateurs, mais d'outils d'aide à la décision, qui s'appuient sur vos propres données. Un autre exemple, peut-être plus parlant, est celui de l'analyse de vos dépenses personnelles. Vous voulez comprendre comment vous dépensez votre argent, dans quels types de dépenses, et comment vous pourriez faire évoluer cela. Le système analyse vos dépenses par cartes de crédit, à partir du code dépense fourni par la société émettrice, et vous présente vos dépenses par catégorie, comparées à celles de l'année précédente. Si vous voulez mettre de côté une certaine somme, le système peut vous aider à choisir quelles dépenses vous devrez réduire pour parvenir à cet objectif. Il s'agit d'aide à la décision personnelle.

Decideo : Pensez vous réellement que beaucoup de gens ont envie de manipuler ainsi leurs données financières ou personnelles pour prendre des décisions aussi calculées. Est-ce réellement amusant ? Je connais plus de gens qui me disent ne jamais faire leurs comptes !

Stephen BROBST : Sincèrement je n'en sais rien. Je ne sais pas si c'est en effet très amusant. Mais peut-être justement parce que vous devez aujourd'hui être assis à votre bureau et parcourir des papiers. Ces nouveaux outils rendront cette tâche plus facile, plus intéressante, plus moderne. Un autre client de Teradata dans ce domaine est un fournisseur d'énergie. Ils utilisent des compteurs intelligents qui recueillent de l'information sur la manière dont vous consommez votre électricité. Ils vont proposer un accès en ligne, qui permettra aux clients de consulter le détail de leur propre consommation et de faire des simulations. Quel sera l'impact sur ma facture d'électricité si je change la température de mon chauffage et que je passe de 20 à 19° ? Combien économiserai-je si j'achète un nouveau réfrigérateur plus économe ? Peut-être n'est-ce pas très amusant, mais cela intéresse les gens aujourd'hui de calculer ce genre de choses. Autre exemple : il y a une application où vous pouvez suivre tout ce que vous mangez, tous les exercices physiques que vous faites, et mis en rapport avec votre état de santé, le système peut vous suggérer une évolution de vos habitudes alimentaires.

Decideo : Vous savez, cela me fait penser à cette différence majeure entre les États-Unis et l'Europe. Je ne saurais pas expliquer pourquoi, mais aux États-Unis, vous adorez les chiffres. Il suffit de regarder à la télévision un match de football pour constater que la moitié de l'écran est occupé par des statistiques diverses : le nombre de points marqué par chaque joueur, depuis combien de temps il n'a pas pris la ballon, à quelle vitesse il court… vous semblez réellement obsédés par cette masse de chiffres, de données factuelles, d'où sans doute ce besoin d'analyse plus marqué que dans notre culture latino-européenne.

Stephen BROBST : Alors je vais vous donner un autre exemple. Le shopping, ça c'est amusant ! Ce que l'on pourrait appeler l'analytique géo-localisée. EBay a par exemple racheté une société qui vous permet de scanner le code-barres d'un produit et de vous dire instantanément quels sont les prix proposés pour ce produit. Encore un exemple, hier j'ai du prendre une décision personnelle. Est-ce que je reste à la conférence Microstrategy et au cocktail de ce soir, auquel cas je devrai prendre un avion tôt demain matin pour assurer mon premier rendez-vous de la journée ? Normalement je ne prends jamais le premier vol le matin, car je n'ai pas confiance dans les compagnies. Je vais donc utiliser une application qui m'indique, pour ce vol en particulier, quelles sont les compagnies dont le taux de respect des horaires est le meilleur. Pas de manière générale, mais bien pour le vol qui me concerne. Cette compagnie est à l'heure sur 99% des vols du jeudi matin à partir de Nice, ok, je vais donc choisir cette compagnie. Vous allez trouver encore une fois que ce n'est pas très amusant, mais c'est en tous cas très utile.


Decideo : C'est intéressant, mais j'ai du mal à imaginer une vie qui ne serait composée que de chiffres. Est-ce le futur ?

Stephen BROBST : Mais c'est ma vie aujourd'hui ! Je ne peux pas imaginer vivre sans chiffres !

Decideo : Mais Stephen vous n'êtes pas quelqu'un de "normal" :-) Est-ce que cette manière de voir les choses au travers de décisions sans cesse pesées, basées sur des chiffres et analysées, correspond à la vie de tout à chacun ? N'est-ce pas un mode de fonctionnement réservé à une petite catégorie de population ? Est-ce que cela signifie que la "Business" Intelligence est en train de se transformer en "Personal" Intelligence ?

Stephen BROBST : Très intéressant. Je crois que cela fait partie d'une évolution culturelle. La "DIY culture", la culture "Do It Yourself", faites-le vous-même. C'est une question que notre génération peut se poser, mais pas la suivante. Ma soeur, qui a vingt ans de moins que moi, ne connait que Internet. Pour elle, c'est un réflexe normal d'accéder à des données, prendre des décisions, tout cela basé sur des informations factuelles, trouvées sur Internet. De notre temps, nous n'avions pas toujours accès à une information avant de prendre une décision. Aujourd'hui pour elle, si elle n'a pas d'informations, elle va sur Google, lance une recherche et trouve ce dont elle a besoin. Ce n'est plus jamais nécessaire de devoir prendre une décision en étant en manque d'informations. Selon elle ce serait stupide. Pourquoi ferais-je cela ? C'est nouveau, mais uniquement pour notre génération, pas pour les gens de 25 ans aujourd'hui, c'est naturel pour eux.
Autre exemple, si vous devez conduire votre mère à l'hôpital, comment allez-vous choisir dans quel hôpital l'emmener ? Ma soeur a été confrontée à cette question. Elle a été chercher sur Internet, quel hôpital a les meilleurs résultats pour telle pathologie, depuis combien de temps ils la traitent, quels sont les spécialistes du sujet qui travaillent dans cet hôpital, etc. Ce sont des données, et des données bien réelles, qui nous sont très utiles. Et ces données sont même rendues publiques de manière obligatoire aujourd'hui aux États-Unis.

Decideo : Est-ce que cette vision analytique s'oppose à une autre, qui s'est développée avec le "web 2.0", celle de la recommandation. Si je dois choisir un hôpital, je peux m'appuyer sur une analyse des données, mais je peux aussi choisir de faire confiance à mes connaissances et leur demander ce qu'ils pensent de tel ou tel hôpital s'ils ont été amenés à y séjourner. Est-ce que la recommandation et l'analyse ne sont pas deux techniques opposées de prise de décision ?

Stephen BROBST : Oui, la recommandation existe, mais elle est moins efficace que l'analyse. Vous avez de moins bons résultats. C'est mieux d'utiliser la recommandation que de ne rien faire, mais c'est moins efficace que d'analyser des données réelles. SI vous n'avez pas de données disponibles, oui, demandez à cinq amis ce qu'ils en pensent. Mais sinon, utilisez et analysez des données réelles.

Decideo : Les données et les chiffres sont plus efficaces que les humains ? C'est ce que vous nous dites ?

Stephen BROBST : Oui ! Repensez aux temps anciens, où lorsque vous demandiez un prêt à votre banquier pour acheter votre maison. Votre chargé de compte discutait avec vous, et s'il pensait que vous étiez quelqu'un de sympathique, il vous accordait votre prêt. Aujourd'hui les choses sont différentes. Votre banquier utilise des applications analytiques pour calculer quel est le risque associé à chaque emprunteur. Les décisions sont totalement guidées par l'analyse des données. Toutes les études montrent que si l'on compare les deux méthodes, celle de l'analyse des données est la plus efficace.
Regardez comment Procter & Gamble, aux États-Unis mais aussi en Allemagne, recrute ses salariés. Bien sur, ils vérifient les références des candidats, mais vous allez aussi passer un examen. Et la manière dont vous répondrez à cet examen sera un excellent indicateur de votre réussite dans le poste pour lequel vous postulez. C'est un marché énorme qui s'ouvre et c'est pour cela que je parle d'une évolution de la "business intelligence" en "consumer intelligence". La meilleure technologie pour le consommateur est celle qui est invisible. Quand vous décrochez votre téléphone, vous ne vous posez pas la question de la technologie qui est dans le téléphone. Vous décrochez et cela fonctionne. C'est la même chose en matière d'analyse de données. Un utilisateur dans un groupe bancaire me disait récemment qu'il ne savait même pas qu'ils utilisaient un système Teradata.

Decideo : Vous décrivez ces applications essentiellement dans le cadre d'une relation entreprise-consommateur. Est-ce que cela pourrait toucher directement le particulier, qui analyserait ses propres données, indépendamment d'un fournisseur ?

Stephen BROBST : Oui, et c'est ce que l'on retrouve dans le mouvement "open data". Le site Data.gov est un programme de Barack Obama pour rendre les données publiques accessibles pour tous les citoyens. Ils ont mis en ligne des données, et laissé les gens les utiliser comme ils le souhaitent, créer leurs propres usages. Par exemple Weather.com est une application basée sur les données publiques que Data.gov.
Ou alors, vous avez pris quelques verres dans un bar, et vous voulez rentrer chez vous. Quel est le chemin le plus sur pour rentrer à pied ? Les rapports de police sont disponibles en ligne, et une application vous permet de créer l'itinéraire le plus sur et le plus rapide pour vous permettre de rentrer chez vous. Vous lancez l'application, vous êtes géolocalisé, vous dites où vous souhaitez aller, et sur la base de données publiques, le meilleur trajet vous est proposé.
Une autre évolution applicative intéressante concerne les embouteillages. Aujourd'hui vous pouvez en temps réel, savoir quelles zones sont embouteillées. Mais cela ne sert pas à grand-chose, soit vous y êtes et vous le savez déjà, soit vous êtes en route et la situation peut évoluer d'ici à ce que vous soyez sur place. Ce qui serait intéressant, ce serait une application prédictive qui analyse non pas le trafic actuel, mais le trafic prévisionnel en fonction de votre position et de là où vous allez; que cette application puisse prendre en compte le fait que dans 30', quand vous serez dans tel quartier, il y a 80 % de chances pour qu'il soit embouteillé, et vous propose donc suffisamment tôt un parcours alternatif. Aujourd'hui ils utilisent juste des données, mais pas d'applications analytiques. Si vous ajoutez des applications analytiques à des données, vous pouvez commencer à faire du prédictif.

Decideo : Cela signifie en effet une évolution dans l'usage des données, mais également dans leur visualisation.

Stephen BROBST : Tout à fait. La visualisation de données est un sujet très important pour la "Consumer Intelligence". Pour le consommateur, mais pour l'être humain en général, les lignes et les colonnes de chiffres ont moins de signification qu'un graphique.

Decideo : Pour Teradata, quelles sont les opportunités derrière cette évolution de "business" en "consumer" intelligence ? Est-ce une opportunité pour vous de vendre plus d'entrepôts de données de plus en plus énormes ?

Stephen BROBST : Pour ces applications, l'évolutivité est très importante. Et Teradata est le fournisseur de bases de données qui permet le plus d'évolutivité. Et comme le disait Michael SAYLOR (PDG de Microstrategy) ce matin, toutes les requêtes doivent apporter une réponse en moins de deux secondes. Et cela ne va pas être possible sur de gros volumes de données avec une base de données Oracle ! C'est certain ! Teradata est la seule technologie à permettre ce niveau de performances.

Decideo : Et quel est le lien avec Microstrategy, vous semblez vous rapprocher d'eux. Ils sont pourtant plus présents sur le marché du reporting et des tableaux de bord que de ce genre de petites applications analytiques.

Stephen BROBST : Leur département recherche et développement investit actuellement dans les applications, les "apps". Il y a d'un côté les tableaux de bord, et de l'autre les applications. La prochaine génération sera celle des applications; elles sont beaucoup plus adaptées à une utilisation directe par les consommateurs. Les consommateurs ne veulent pas naviguer dans des informations, ils veulent juste la réponse à leur question. Il va donc se développer rapidement des "apps" décisionnelles destinées aux consommateurs.

Decideo : Pour terminer, pensez-vous que ces données mises à disposition du consommateur ont une valeur. J'imagine que oui bien sur, mais comment alors la monétiser ? Est-ce que l'utilisateur va accepter de payer pour ces conseils ou ces outils d'aide à la prise de décision ?

Stephen BROBST : C'est un point intéressant. Pour l'instant, nous constatons plutôt l'usage de ces données et de ces applications comme un outil de fidélisation client, comme un service différenciateur apporté par une entreprise à ses clients. Dans l'exemple d'un compagnie d'électricité que nous prenions tout à l'heure, l'objectif de la compagnie est d'éduquer les consommateurs, pour qu'ils réduisent leur consommation aux heures de pointe, des heures qui coutent très cher à l'entreprise qui doit alors acheter l'électricité produite au prix fort. Je n'ai pas encore vu de cas où les entreprises facturaient leurs clients pour l'utilisation de ces nouvelles applications analytiques. Mais parfois les données sont vendues. Ainsi Royal Bank of Canada facture à ses clients la mise à disposition de l'ensemble de leur historique de données pour reconstruire les relevés de compte passés. Pour les trois dernières années, elles vous fournissent les données gratuitement, mais si vous souhaitez remonter au-delà cela a un coût. Mais il sera toujours difficile de faire payer un consommateur pour accéder à ses propres données. Il sera éventuellement prêt à payer pour une application, mais pas pour ses propres données.



Dans la même rubrique :