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Les dispositifs de contrôle de gestion sont souvent considérés comme des freins à la réactivité et à l’innovation. Ainsi, dans les années 1980, les outils de planification ont été critiqués pour ne pas avoir aidé les entreprises à passer les chocs pétroliers. C’est désormais au tour du budget d’être sur la sellette pour être source de lourdeur, de rigidité et de cloisonnement et, in fine, empêcher l’innovation. Ces critiques ne manquent pas de pertinence et le constat des limites des procédures budgétaires est partagé.


Les bons outils de pilotage - Pourquoi pas le Budget ?
Les propositions les plus récentes pour répondre à ces critiques, baptisées « beyond budgeting », visent carrément à la suppression du budget. Elles sont représentatives de la multiplication des offres de nouveaux instruments de gestion (VBM, ABC, BSC...) appuyées par un marketing de plus en plus actif de la part des entreprises de conseil, qui bousculent les systèmes de gestion en place.
Partant des constats des limites du budget, les gourous de la suppression du budget proposent : la mise en place d’objectifs relatifs, c’est-à-dire fixés par rapport à des références non plus internes, mais externes (« benchmarking » par rapport aux concurrents, notamment).
Par exemple, l’objectif n’est plus d’avoir une rentabilité de12%, mais de se trouver dans le premier quartile d’un groupe d’entreprises de référence ; l’utilisation de prévisions glissantes (« rolling forecast: il ne s’agit plus de faire des prévisions pour une année calendaire (du 31/12/n au 31/12/n + 1), mais de faire régulièrement, par exemple, tous les trimestres des prévisions à 12mois(successivement du 31/12/n au 31/12/n + 1, puis du 31/03/n au 31/03/n + 1...). Ainsi, la fixation d’objectifs relatifs permettrait d’éviter que la négociation des objectifs prenne le pas sur la recherche de plans d’action visant à améliorer la performance et donc de répondre aux objections en matière d’innovation.
Quant aux prévisions glissantes, dont la finalité est de favoriser la réactivité, elles constitueraient une réponse aux critiques sur la rigidité des procédures classiques. Cependant, ces propositions ne sont pas resituées dans un cadre d’analyse globale. Pour juger de la pertinence et de la possibilité de généraliser ces exemples, il serait souhaitable d’analyser les pratiques actuelles et les propositions avec une grille théorique.

Une possibilité est de s’interroger sur les réponses qu’elles apportent aux différents enjeux auxquels le budget doit répondre. Parmi eux : l’alignement des décisions locales avec la stratégie globale, la coordination des actions, la motivation des salariés, l’apprentissage organisationnel et l’innovation. Si les procédures budgétaires classiques ne répondent qu’imparfaitement à ces enjeux,− elles ne permettent, notamment, que des révisions locales des plans d’action encours d’année alors que des révisions globales sont de plus en plus nécessaires−les propositions de suppression des budgets sont tout aussi imparfaites.
Ces dernières n’apportent, en particulier, aucune solution aux enjeux de coordination ou d’apprentissage. Contrairement à ce qu’affirment leurs promoteurs, ces propositions du beyond budgeting ne sont donc pas universelles. Elles ne s’appliquent que dans des situations de pilotage d’entités disposant d’une forte autonomie et indépendantes les unes des autres, ce qui peut être le cas de directions générales de grands groupes.
Dans tous les autres cas, plutôt que de supprimer le budget, avec le risque de « jeter le bébé avec l’eau du bain », la suggestion est de le renouveler, ce qui est évidemment bien moins « vendeur » que de le remettre en question, comme nous y invitent les modes actuelles.
L’objectif n’est pas ici de développer les modalités possibles de ce renouvellement. En revanche, ces développements montrent au travers de l’exemple du beyond budgeting que le discours marketing fondé sur des « success stories » qui accompagne les innovations managériales en matière de pilotage ne repose pas suffisamment sur des grilles d’analyse théoriques et ne favorise donc pas l’adaptation de ces innovations au contexte particulier de chaque organisation.

Les promoteurs de ces innovations peuvent arguer qu’elles sont effectivement adoptées par les entreprises afin d’en démontrer la pertinence. Mais, les développements théoriques récents sur la diffusion des innovations managériales montrent que de nombreuses firmes affirment adopter ces innovations parce que cela conforte la légitimité de leurs dirigeants, mais sans que les pratiques sur le terrain soient réellement modifiées. Au final, fort peu d’entreprises ont supprimé leur budget en pratique. Il faut en tirer les enseignements et plutôt que d’acheter un produit « sur catalogue », ne pas hésiter à se faire une idée de ces outils par soi-même, en expérimentant les pratiques innovantes localement et en tirant les enseignements de ces expériences avant, le cas échéant de les généraliser. Cela rallonge des temps de mise en oeuvre déjà longs, et nécessite donc une gestion renouvelée de l’implication des directions générales dans ce type de projet. Mais c’est certainement le prix à payer pour éviter que les pratiques locales soient totalement déconnectées des intentions managériales.
Par ailleurs, il est exemplaire de constater que les propositions du beyond budgeting reposent sur la diffusion d’incitations objectives au travers de classements. Il s’agit là d’un nouvel avatar des tentatives de diffusion des mécanismes de marché au sein des organisations avec l’idée que la compétition interne dynamiserait les organisations et favoriserait notamment l’apprentissage et la créativité (comme ce serait aussi le cas dans le sport de haut niveau, métaphore de plus en plus utilisée dans l’univers économique).Mais ce raisonnement fait fi de nombreux problèmes ou questions. En premier lieu, pourquoi créer des organisations plutôt que de laisser faire le marché si c’est pour tenter de mimer le marché au sein des organisations ?
Or, la compétition si elle peut favoriser l’apprentissage lorsque les enjeux sont simples, lui est nuisible lorsque ceux-ci sont complexes particulièrement lorsqu’il s’agit d’innovation. La généralisation des classements est en fait représentative d’un courant du management qui vise à renforcer les incitations et fait l’hypothèse illusoire que si les incitations sont bien conçues, les bonnes stratégies seront naturellement mises en œuvre par les acteurs de l’organisation.

Cette orientation vers un pilotage par les incitations repose par construction sur un management à distance. Or il est plus probable que l’innovation naît du dialogue. C’est la raison pour laquelle il faut aller au-delà des solutions qui reposent sur un dispositif unique (supposé à lui seul permettre de retrouver la croissance et la performance comme les premiers chapitre de nombreux livres présentant des innovations managériales, par exemple le BSC ou l’EVA, le prétendent sans sourciller) et envisager des systèmes de pilotage qui allient des dispositifs favorisant le dialogue et d’autres plus orientés vers l’économie de temps et donc le management à distance. Mais cette piste est plus complexe et moins propice aux démarches marketing.
Pour disposer d’instruments de pilotage en situation de crise et propices à la croissance, il semble donc essentiel de s’adapter au marketing croissant des instruments de gestion en concevant des dispositifs d’adaptation lourds de ces instruments lorsqu’il est décidé de les adopter et en ne cédant pas aux sirènes de la simplicité notamment au travers de l’illusion du pilotage par les « bonnes » incitations.

le Jeudi 5 Novembre 2009 | 2 commentaires


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