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Big Data : Peut-on/faut-il mesurer le bonheur, le sexe, l'amour et le bien-être ?


Rédigé par le 19 Septembre 2012

Réflexions autour d'une interview de Emmanuel Gadenne le spécialiste en France du "Quantified Self", la "mesure de soi".



Emmanuel GADENNE et la couverture de son livre
Emmanuel GADENNE et la couverture de son livre
Si les noms de Nicholas Felton ou de Emmanuel Gadenne ne vous disent rien, vous allez sans doute prendre conscience qu'un pan entier de votre existence échappe encore à la quantification. Mais peut-être plus pour longtemps… Car le big data dépasse le cadre des applications d'entreprises et touche maintenant notre vie personnelle. Et tout cela dans un processus classique de collecte / stockage / analyse.
Les meilleures ventes d'accessoires pour iPhone sont les capteurs qui vous permettent de suivre votre activité sportive ou votre santé, l'informatique en nuage vous permet de stocker toutes ces données, et peut-être demain SAP, Oracle, Microsoft ou IBM proposeront-ils des applications décisionnelles "personnelles".

Savez vous répondre à ces trois questions :
- combien de pas avez-vous fait chaque jour, ces trois derniers mois, comparés à la même période de l'année précédente ?
- quelle est la fréquence moyenne de votre rythme cardiaque une heure après le repas, comparé au reste de la population ?
- combien de fois avez-vous fait l'amour cette année, trié par position et par sexe de votre partenaire ?
Certains sont capables de répondre à ces questions et à bien d'autres. Ils en font même une pratique de vie.

Du délire ? Non, pas du tout. Une des tendances "big data" est de mesurer tout ce qui concerne sa vie personnelle, et plus précisément son propre corps.
Le message général du "Quantified Self", que développe Emmanuel Gadenne dans son livre Mieux gérer sa vie, sa santé, sa productivité passe par la mesure, la collecte et l'analyse de toutes sortes de données concernant notre propre corps et notre comportement. Nicholas Felton a été très loin dans ce domaine, en publiant depuis plusieurs années un "rapport annuel" de sa vie au travers des chiffres.

Pour ceux chez qui l'interview de Emmanuel Gadenne publiée ci-dessous ferait naitre une nouvelle passion, signalons deux journées de conférences : Wired Heath Conference les 15 et 16 octobre à New-York, bien sur… www.wiredhealthconference.com

La bonne nouvelle c'est que si votre entreprise ne veut pas se lancer dans un projet Big Data, vous allez pouvoir annoncer à votre conjoint que c'est votre famille qui se met au Big Data ! La mauvaise, de mon point de vue, c'est que chercher à tout quantifier, y compris des perceptions, des sentiments, le bonheur, l'amour, le bien-être… n'est pas l'expression de la société que je souhaite. Mais si c'est votre choix, il est tout aussi respectable que le mien. D'ailleurs, d'accord, pas d'accord, utilisez les commentaires pour partager votre impression.

Interview de Emmanuel GADENNE, manager chez Sopra Consulting et auteur du Guide pratique du Quantified Self, paru chez FYP Éditions en 2012. Interview réalisée à distance en août 2012.

On parle beaucoup de "big data", sous-entendant une croissance exponentielle des volumes de données créées et stockées. Les données "personnelles", quantitatives et générées par un humain sont quelque chose de relativement nouveau. D'où vient cette envie ou ce besoin de mettre sa vie en chiffre et d'en conserver la trace ?

Cette envie et ce besoin d’en savoir plus sur soi-même, au travers de mesures objectives est très ancien. Mais ce qui est nouveau, c’est que la mesure et la collecte de multiples données liées à notre corps, à notre activité et à nos objectifs est désormais possible et peu coûteuse. Pour cela, on s’appuie sur le Quantified Self qui désigne les nouvelles méthodes, principes et outils pour suivre, analyser et partager les données de notre quotidien. Avec le Quantifed Self, la connaissance de soi est facilitée, ce qui apporte un éclairage inédit sur soi.

Il est possible de mettre en perspective les efforts réalisés et les différents objectifs atteints. En complément des applications web et des applications mobiles de mesure de soi, les capteurs offrent de nouveaux horizons, à l’image des balances, des podomètres et des bracelets connectés et intelligents. Les capteurs automatisent la collecte et l’analyse de nos données personnelles. Ces nouveaux outils nous aident à mieux gérer notre bien-être, notre santé et notre productivité de manière simple, efficace, ludique et durable.

Ainsi, par exemple, il est aujourd’hui possible de savoir le nombre de pas faits au cours de la journée, le nombre de calories perdues, le nombre d’étages gravis et le nombre de kilomètres à pied parcourus. Tout ceci nous offre de nouvelles perspectives et de nouveaux challenges à relever !

Jusqu'à présent l'Homme générait plutôt des données qualitatives, non structurées, sur sa vie (album photos, journal intime, blog, statuts sur les réseaux sociaux...). Comment expliquer cette évolution d'une partie de la population vers la génération de données quantitatives et structurées ?

Avec l’avènement du Web social depuis 2006, les internautes partagent avec des communautés de plus en en plus élargies, des photos, des billets, des commentaires, des impressions. Pour nombre d’utilisateurs, les volumes de données ainsi partagés sont considérables. Certains ont déjà à leur actif, plusieurs milliers de photos et plusieurs dizaines milliers de statuts ou de tweets sur les réseaux sociaux ! Au-delà du plaisir de la socialibilisation et du nécessaire développement de son e-réputation, se pose, à long terme, la question de la pertinence et de l’efficacité réelle de tout ce temps passé en ligne…

L’utilisation de données quantitatives et structurées, permet de s’attaquer à d’autres domaines : nutrition et perte de poids, état cardio-vasculaire, sommeil, maladie chronique, préparation physique et sportive, gestion du comportement, auto-évaluation, autodiagnostic, sociabilité, organisation personnelle, gestion du temps, productivité, etc.

Tout se passe comme si une partie de la population voulait compléter l’internet des contenus et le Web social par un internet plus tourné vers ses objectifs et ses actions. Bien-sûr, passer à l’action nécessite une mesure de ses efforts dans le temps.

Quelques chiffres... Est-ce un micro-phénomène; combien de gens dans le monde (ou quel pourcentage de la population) génère des données quantitatives sur leur propre vie ? Quel volume de données cela peut-il représenter sur une vie ?

Des centaines d’applications web et mobiles et des dizaines de capteurs permettent déjà la capture, l’analyse et le partage de données personnelles. On compte plusieurs millions d’adeptes de ces pratiques de génération de données quantitatives. A elle seule, l’application RunKeeper qui permet d’enregistrer ses activités sportives et de les partager avec ses amis, compte déjà plus de 6 millions d’utilisateurs !

Le projet MyLifeBits stocke, depuis 2004, toutes les données de Gordon Bell, chercheur chez Microsoft. Tous les textes qu’il lit ou qu’il produit sont numérisés et stockés. De même, tous ses emails et ses conversations téléphoniques ou en messagerie instantanée sont archivés. Toutes les 20 secondes, une caméra qu’il porte autour du cou prend une photo de toutes ces actions. Ces différentes données sont stockées plus ou moins automatiquement. Son activité représente un gigaoctet de données chaque mois. Sur cette base, il faudrait un téraoctet pour stocker les données de toute une vie !

Du point de vue analytique, au-delà de la vision individuelle de ses propres données, c'est la mise en commun et l'analyse globale d'une population qui pourrait apporter des enseignements. On serait là dans du vrai big data. Est-ce quelque chose que l'on commence à anticiper ? Quels organismes seraient habilités et auraient la crédibilité pour collecter les données d'une population et les analyser ?

En matière de santé, de nutrition et de perte de poids, des analyses globales sont déjà mises en place. En cette matière, les organismes habilités sont les intervenants de santé et les chercheurs des organismes de santé publique. Ainsi, par exemple, Asthmapolis affiche en temps réel, la carte des zones asthmatiques, grâce aux remontées d’informations issues d’inhalateurs équipés d’un GPS. L’application Asthmapolis permet aux médecins de suivre à distance les symptômes d’asthme et les traitements de leurs patients. Grâce à l’agrégation et à l’anonymisation des données individuelles transmises par les inhalateurs, les épidémiologistes et les chercheurs des organismes publics de santé disposent à présent de données localisées, objectives et toujours à jour sur l’évolution de l’asthme.

Du point de vue analytique et représentation visuelle, quels outils sont aujourd'hui utilisés dans le "quantified self" ? Quels sont les principaux outils à suivre ? Y a-t-il un nouveau marché à développer pour des outils d'analyse ou des services en ligne pour représenter graphiquement et analyser ces informations ?

Les applications et les plateformes de Quantified Self proposent des représentations graphiques de plus en plus évoluées, à l’image de RunKeeper, Fitbit, Withings, Sense ou DidThis qui progressent régulièrement dans la présentation des données. L’affichage d’une frise chronologique, ou timeline, se systématise. Elle se complète de l’affichage d’histogrammes à échelle variable, de camemberts, etc. Il s’agit aussi sur des applications comme Beeminder, RunKeeper ou 42Goals de voir sur une courbe unique comment chaque effort concoure à l’atteinte d’un objectif long terme. Par exemple sur Runkeeper, je peux visualiser sur une courbe unique, comment plusieurs centaines de marches à pied permettre d’atteindre l’objectif de marcher 2000 km en 2 ans.

Grâce à des API, les données de la mesure de soi créées avec un outil sont réutilisables dans une autre application ou une autre plateforme, ce qui élimine les ressaisies et permet de nouvelles analyses et de nouvelles représentations graphiques. Dans cette optique, différentes plateformes comme RunKeeper ou Withings présentent des graphiques de santé aussi complets que possible qui combinent poids, activité physique, sommeil, rythme cardiaque, etc.

Tous les progrès dans la visualisation de données, dans l’infographie et dans le design d’application profitent naturellement aux applications et aux capteurs de la mesure de soi.

J'ai croisé certains "extrêmes" comme Nicholas Felton ou des utilisateurs de Daytum. On se demande parfois s'ils ne sont pas simplement fous :-) Est-ce que ce type de personne et leur "obsession" pour les chiffres et l'auto-analyse reflètent une tendance ou restent-il des extrémistes ?

Nicholas Felton, alias Feltron, a été capable de traduire sa vie sous forme de diagrammes. Ces rapports annuels, dont les plus anciens remontent à 2005, sont effectivement excessifs mais en réalité ils procèdent avant tout d’une démarche artistique. C’est la raison pour laquelle ces travaux ont été présentés à plusieurs reprises dans différents musées.

En avril 2011, Ryan Case et Nicholas Felton, les deux fondateurs de Daytum ont été appelés à rejoindre les équipes de Facebook, pour travailler à la timeline, le nouveau design de cette plateforme. Ils ont ainsi contribué à ce que l’histoire numérique de l’internaute, c’est-à-dire le lifelogging de l’individu souvent considéré comme une variante du Quantified Self, s’inscrive naturellement au cœur même de leur profil Facebook.

Qu’il s’agisse de Daytum, de Runkeeper, de Twitter, de Facebook ou de World of Warcraft, on trouvera sans peine pour chacun de ces outils en ligne des utilisateurs qui ont versé dans l’extrême et dans l’obsession. Ces utilisateurs ne représentent pas encore une tendance lourde, il s’agit d’un phénomène émergent à surveiller.

Question plus "profonde", j'ai l'impression que le "quantified self" pousse vers une culture du chiffre, une recherche de la performance, de la progression, de la croissance, sans laisser de place au qualitatif, au simple bonheur non tarifé et non quantifié. Alors même que notre société devrait aujourd'hui réduire, économiser, faire moins... Pourtant, tu mets en avant le "bien-être"... n'est-ce pas paradoxal ?

Pour moi, il ne s’agit pas forcément de faire moins, à un niveau individuel et collectif. Il s’agit de faire mieux. Cela suppose de se fixer des objectifs personnels et collectifs et de se donner les moyens de les atteindre. Pour cela, rien de tel que la mesure.

Au niveau individuel par exemple, rien de tel qu’une pesée régulière pour vous inciter à rester dans des fourchettes de poids, d’indice de masse corporelle et de pourcentage de masse grasse que vous estimez être bonnes pour vous.

Au niveau collectif par exemple, la mesure en temps réel d’un taux de pollution et la communication de cette mesure avec le bulletin météorologique est la solution simple et efficace qui permet à ceux qui en ont besoin de se mettre à l’abri et à ceux qui le veulent et le peuvent d’adopter des comportements moins polluants.

Un monde où toute activité serait mesurée, stockée, analysée, partagée... fait peur... comment rassurer ceux qui n'y voient qu'une dérive ?

Tous les outils du Quantified Self sont utilisables de façon anonyme et en conservant ses données privées. Le partage des données personnelles reste dans chacun de ces outils une option. Par exemple, lorsque l’on utilise une balance connectée, il est possible de partager son poids à l’aide d’un compte Twitter anonyme, ce qui est le moyen efficace pour qui souhaite recevoir des encouragements de ses amis.

A tout moment, l’usage de ces outils doit être pensé comme une nouvelle possibilité et jamais comme une obligation. Il convient de rester prudent dans ses usages de la mesure de soi. On sait que ce nouvel écosystème est intrusif. Il nous faut rester vigilant sur les possibles addictions, sur les usages abusifs et sur les éventuels détournements qui pourraient en être faits.

A chaque mesure personnelle, il faut avant tout se poser la question de l’opportunité de celle-ci et se rappeler qu’échapper au système de mesure est toujours une option à considérer. Au fond, votre système de capture, d’analyse et de partage de données personnelles doit avant tout se baser sur votre construction personnelle, sur la collection de vos efforts tendus vers vos objectifs.




Commentaires

1.Posté par lacassaigne le 20/09/2012 06:23
Effectivement, les BIG DATA soulèvent des enjeux qui dépassent le cadre de l'entreprise et la sphère de l'économie. Demain, soit vous serez le logiciel soit vous créerez le logiciel, c'est toute la différence. L'article traite d'un sujet encore méconnu ici : le quantified self soit la mesure des données de soi (sportive, santé). Avec la multiplication des capteurs, on verra se développer de nouveaux usages des données. J'ai connaissance d'une application qui permet de créer sa propre mélodie à partir les données de son propre génome. Une autre application mobile permet aussi après séquençage du génome, de travailler pour vous en prévention santé. Dans ce cadre, vous avez un assistant personnel. Demain, on imagine bien aller au mac do du coin et ...surprise! votre mobile vous rappelle qu'en fonction des dépenses énergétiques effectuées dans le journée, votre consommation de lipides, votre taux de cholestérol, l'heure de la journée, votre courbe de poids, vous ne pouvez prendre qu'une salade sans sauce au lieu d'un hamburger.....

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