N'utilisez pas les graphes en 3D
Claude-Henri Mélédo
Les graphes en « 3D » ne permettent pas d’analyser.
Ils permettent de se rassurer.
Les graphiques permettent de voir rapidement les données en comparant d’un coup d’œil les exceptions, tendances et pattern … sauf quand il s’agit de graphes en 3D (où l'esthétique prévaut sur le scientifique).
- Avant d’activer l’option 3D d’un graphique, il faut d’abord savoir choisir le graphe 2D le plus pertinent. Or peu de gens maitrisent déjà la « grammaire du voir ».
- Le graphique en 3D présente un effet rédhibitoire de masquage des objets placés en arrière-plan (derrière un objet massif qui serait placé devant).
un cas artificiel où comme par hasard les colonnes les plus basses
sont placées devant.
Ainsi pour voir une petite maison de 2 étages à Manhattan (ex. : celle louée par Dominique Strauss-Kahn quand il était en résidence surveillée durant l’été 2011), il faut disposer d’un hélicoptère qui devrait sillonner chaque rue avant de réussir à la détectée tant elle est cachée par les gigantesques gratte-ciel qui l’entourent.
La vraie 3D exige un outil de pilotage complexe (une simple souris informatique ne peut suffire) pour utiliser ces graphismes dans lesquels l’acteur s’immerge.
Alors pourquoi le grand public aime la 3D ?
Rares sont les gens connaissant la « grammaire du voir » leur permettant de choisir sur des faits objectifs le graphique le plus pertinent. Et pourtant la majorité s’accorde à vouloir des graphes en 3D. Faut-il y voir un simple phénomène de mode ?
Il faut revenir au problème de l’utilisateur.
1) Sans formation à la "grammaire du voir", il ne sait quel graphe retenir. Il refuse donc de produire un graphique, tant il se doute qu’en sélectionnant un graphique, il décidera de ce qui est important de regarder (ex. : en choisissant les valeurs anormales à mettre en valeur).
2) A priori un graphe en 2D (à plat sur une feuille/ un écran) est plus loin de la réalité du quotidien (donc de la vérité?) qu'un graphique en 3D.
Nb : Même si le tableur Excel ne gère souvent que de la fausse 3D (Dimension Z non signifiante, voire insignifiante). En effet puisque l'épaisseur des secteurs d'un camembert est toujours la même quelque soit la tranche, cela n'avance à rien de montrer cette épaisseur faussement 3D ("inutilement 3D" du point de vue scientifique).
Etre au-dessus de la mêlée … pour maitriser les données
Dans l’imagerie populaire, seuls les puissants bénéficient d’une vision d’un point haut (le trône du roi, l’estrade du juge, la chaise d’arbitrage au tennis…). Donc la perspective est le symbole d’une vision à long terme, évitant les mauvaises surprises en voyant les obstacles et difficultés qu’il va falloir gérer.
C’est cette même recherche de hauteur de vue que les puissants ont cherché à démontrer par les statues équestres (voir celle de Louis XIV au château de Versailles ).
Aujourd’hui encore malgré le GPS et le système anti-collision offrant une vision générale, de nombreux propriétaires de 4x4 citadins prétextent l’achat de leurs gros véhicule "hauts sur pattes" par le côté rassurant qu’offre la visibilité anticipatrice « à plusieurs voitures près ».
la « perspective cavalière » ou « pseudo-3D »
Depuis l’antiquité grecque, on applique en dessin cette vision d’un monde maitrisé sous le nom de perspective axonométrique, donnant l’impression de volume ou l’illusion de relief… où donc rien ne serait caché, puisqu'on voit par dessus les objets (tel un oiseau de proie qui depuis le ciel regarde les mammifères terrestres qu'il va bientôt chasser).
De plus le grand public se méfie des graphiques en 2D si différents de leur quotidien (le monde réel est en 3D puisque nous sommes tous constitués d'un volume).C’est pour retrouver cette réalité que depuis des siècles les artistes et scientifiques (surtout pour représenter des fortifications) s’ingénient à simuler la 3D par l’utilisation de la perspective axonométrique.
En fait il ne s’agit que d’une « pseudo-3D » (on ne peut se mouvoir dans l'image) à l'image déformée, car il n’y a même pas de point de fuite (puisque quels que soient leur emplacements, les personnages ont toujours la même taille).
Plus grave encore : en l’absence de la réelle troisième dimension, l’œil connait de nombreuses erreurs d’interprétations (confusion sur les positions des objets comme l’a montré le célèbre artiste Escher ).
Par contre les deux applications les plus connues de cette « pseudo 3D » donnent au spectateur une illusion de maîtrise du monde où rien n’échapperait à son regard :
- « Perspective cavalière » quand l’angle de fuite Z est entre 30 et 45 degrés,
- « Perspective isométrique » quand Z est à 120 degrés d’angle des axes X et Y
Les graphiques en pseudo-3D rassurent
le grand public… et les grands patrons
Répondant aux peurs primitives de subir les évènements plus que de les maitriser, le grand public souhaite voir ce qui est derrière l'écran lisse de graphiques 2D qui lui parait si peu naturel. Il veut savoir ce qui a peut-être été masqué, voire peut-être même intentionnellement caché.
L’illusion de la perspective isométrique rend les grands patrons encore plus heureux, car elle leur donne de l’altitude. Ainsi les dirigeants s’imaginent "dominer la situation" (au moins symboliquement).
Sachant cela, les publicitaires devant montrer des situations stressantes abusent de la perspective isométrique, comme dans cette réclame pour un nucléaire prétendument maîtrisé par Areva :
Dans cette vidéo, la société Areva laisse à penser qu'elle domine (visuellement) le schéma, donc maitrise (techniquement) le processus nucléaire.
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Jouer aux petits soldats
La hauteur de vue que prétend offrir cette pseudo-3D fascine les adolescents rêvant de devenir des géants ou les mégalomanes prenant leurs congénères pour de simples « petits soldats » exécutant leurs ordres.
Pour insister sur ce côté ludique, il existe des logiciels d’entreprise (« Serious Gaming ») qui reprennent le principe des jeux vidéo où le joueur dirige la stratégie et voit les impacts de ses décisions (type "Age of Empire " de Microsoft).
Ainsi pour faciliter la conduite du changement, cette visualisation en pseudo-3D aide à accompagner les individus les plus réfractaires aux évolutions. En effet même si elle n’est pas à proprement parler 3D, la perspective isométrique offre une hauteur de vue comme si l’utilisateur jouait aux « petits soldats ». Ainsi le blocage psychologique est balayé et l’utilisateur peut consacrer son attention au message diffusé.
Ainsi pour faciliter la conduite du changement, cette visualisation en pseudo-3D aide à accompagner les individus les plus réfractaires aux évolutions. En effet même si elle n’est pas à proprement parler 3D, la perspective isométrique offre une hauteur de vue comme si l’utilisateur jouait aux « petits soldats ». Ainsi le blocage psychologique est balayé et l’utilisateur peut consacrer son attention au message diffusé.
http://www.onmap.fr/decouvrir/Decouvrez_entreprise.html
Ainsi les formations sont annoncées comme plus efficaces par un accompagnement au changement qui devient ludique.
Images montrant le point de vue du "Maître du jeu"
Les graphiques en perspective ne sont pas les seuls à utiliser un angle de vision comme si l’utilisateur était sur une tour de guet. Il existe depuis longtemps des systèmes photographiques qui rendent cet effet de différence d'échelle :
- Photo prise en « contre-plongée » (c’est-à-dire en basculant l’appareil photo vers le haut) permet de montrer une différence d'échelle. Nb : Le piedestal supportant une statue fait le même effet.
- « Effet de maquette » rendu par un « objectif à décentrement » conservant la même focale grand angle qu’en contre-plongée, mais sans devoir basculer l’appareil vers le haut.
Si vous ne disposez pas d’un appareil photographique suffisament sophistiqué pour disposer de cette option « Tilt-Shift » (c'est son nom en Anglais), vous pouvez aussi transformer une de vos photos pour 5 euros en une "vue de maquette" via le site web Tiltshiftmaker
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