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Des synapses nanofluidiques pour stocker la mémoire computationelle


Rédigé par Celia Luterbacher, EPFL le 25 Mars 2024

Des ingénieurs de l’EPFL sont parvenus à exécuter une opération logique en connectant deux puces qui utilisent des ions, plutôt que des électrons, pour traiter les données. Il s’agit d’une avancée vers le calcul neuromorphique (c’est-à-dire qui s’inspire du cerveau) basé sur la nanofluidique.



Des co-auteurs Nathan Ronceray et Théo Emmerich © Titouan Veuillet / EPFL CC BY SA
Des co-auteurs Nathan Ronceray et Théo Emmerich © Titouan Veuillet / EPFL CC BY SA
La mémoire, autrement dit la capacité à stocker des informations de manière facilement accessible, est une opération essentielle pour les ordinateurs et le cerveau humain. La grande différence réside dans le fait que le traitement de l’information par le cerveau implique d’effectuer des calculs directement sur des données stockées, alors que l’ordinateur fait transiter les données entre une unité de mémoire et une unité centrale (UC). Cette séparation inefficace (le goulot d’étranglement de von Neumann) contribue à augmenter le coût énergétique des ordinateurs.

Depuis les années 1970, les scientifiques travaillent sur le concept de memristance ou résistance mémoire. Il s’agit d’un composant électronique qui peut à la fois calculer et stocker des données de la même manière qu’une synapse. Mais Aleksandra Radenovic, chercheuse au Laboratoire de biologie à l’échelle nanométrique (LBEN) de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL, a jeté son dévolu sur quelque chose d’encore plus ambitieux: un dispositif memristif nanofluidique fonctionnel qui repose sur les ions, plutôt que les électrons et leurs homologues de charge opposée (les trous). Une telle approche permettrait d’imiter plus fidèlement la façon dont le cerveau traite les informations, qui est nettement plus efficace sur le plan énergétique.

«Les memristances ont déjà servi à créer des réseaux neuronaux électroniques, mais notre objectif est de concevoir un réseau neuronal nanofluidique qui tire parti des changements des concentrations ioniques, à l’instar des organismes vivants», déclare Aleksandra Radenovi

«Nous avons conçu un nouveau dispositif nanofluidique pour les applications de mémoire qui est beaucoup plus évolutif et performant que ses prédécesseurs», affirme Théo Emmerich, chercheur postdoctoral au LBEN. «Pour la première fois, nous avons pu connecter deux “synapses artificielles” de ce type, ouvrant ainsi la voie à la conception de matériel liquide inspiré du cerveau.»

Ces travaux de recherche ont été récemment publiés dans la revue Nature Electronics.

De l’eau, tout simplement

Les memristances peuvent passer d’un état de conductance à l’autre – actif et inactif – par la manipulation d’une tension appliquée. Alors que les memristances électroniques reposent sur les électrons et les trous pour traiter les informations numériques, la memristance du LBEN peut tirer parti d’un ensemble d’ions différents. Pour leur étude, les scientifiques ont immergé leur dispositif dans une solution électrolytique aqueuse contenant des ions potassium, mais d’autres ions pourraient être utilisés, notamment des ions sodium et calcium.

«Nous pouvons régler la mémoire de notre dispositif en modifiant les ions que nous utilisons, ce qui a une influence sur la façon dont il passe de l’état actif à l’état inactif, ou sur la quantité de mémoire qu’il stocke», explique Théo Emmerich.

Ce dispositif a été fabriqué sur une puce au Centre de MicroNanoTechnologie de l’EPFL en créant un nanopore au centre d’une membrane en nitrure de silicium. Les scientifiques ont ajouté des couches de palladium et de graphite pour créer des nanocanaux ioniques. Lorsqu’un courant circule dans la puce, les ions traversent les canaux et convergent vers le pore, où leur pression crée une boursouflure entre la surface de la puce et le graphite. Lorsque la couche de graphite est poussée vers le haut par la boursouflure, la conductivité du dispositif augmente; sa mémoire passe aussi à l’état actif. La couche de graphite restant soulevée, même en l’absence de courant, le dispositif «se souvient» de son état antérieur. Une tension négative remet les couches en contact, ramenant la mémoire à l’état inactif.

«Les canaux ioniques du cerveau subissent des modifications structurelles à l’intérieur d’une synapse, ce qui imite également la biologie», indique Yunfei Teng, doctorant au LBEN, qui a travaillé sur la conception des dispositifs – surnommés canaux hautement asymétriques (HAC) en référence à la forme du flux ionique vers les pores centraux.

Nathan Ronceray, doctorant au LBEN, ajoute que l’observation par l’équipe de l’action de la mémoire des HAC en temps réel est également une avancée dans ce domaine. «Comme nous avions affaire à un phénomène de mémoire totalement nouveau, nous avons conçu un microscope pour l’observer.»

En collaboration avec Riccardo Chiesa et Edoardo Lopriore du Laboratoire d’électronique et structures à l’échelle nanométrique, dirigé par Andras Kis, les scientifiques ont réussi à connecter deux HAC avec une électrode pour former un circuit logique basé sur le flux ionique. Cette réalisation représente la première démonstration d’opérations logiques numériques reposant sur des dispositifs ioniques de type synapse. Mais les scientifiques ne veulent pas en rester là: leur prochain objectif sera de connecter un réseau de HAC avec des canaux d’eau pour créer des circuits totalement liquides. En plus de fournir un mécanisme de refroidissement intégré, l’utilisation de l’eau faciliterait le développement de dispositifs biocompatibles pouvant être utilisés dans les interfaces cerveau-ordinateur ou en neuromédecine.

Références
Emmerich, T., Teng, Y., Ronceray, N. et al. Nanofluidic logic with mechano–ionic memristive switches. Nat Electron (2024). https://doi.org/10.1038/s41928-024-01137-9




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